Une éventuelle victoire de Syriza ne sortirait pas la Grèce d’une spirale de l’échec

Tel un Sisyphe des temps modernes, la Grèce, berceau de l’austérité européenne, a fourni des gros efforts sans relâche, mais hélas sans perspective. Lors du retour épisodique, sur les marchés financiers au printemps dernier, le gouvernement grec misait beaucoup sur cette carte pour faire croire qu’une sortie de crise n’est pas loin. Or, après quatre ans de cure budgétaire, la Grèce n’est toujours pas en mesure de regagner son autonomie. Son retour sur les marchés, promis par le premier ministre Antonis Samaras pour 2015, est renvoyé aux calendes grecques. Et pour faire face aux prochaines échéances de financement de 22,5 milliards, l’Union européenne n’offre d’autre perspective que d’approfondir la méthode déjà à l’œuvre.

La viabilité économique artificielle du pays reste dépendante de l’aide européenne. La Grèce est appelée à poursuivre ses efforts de restriction afin de clôturer le deuxième programme d’assistance jusqu’à la fin de février 2015 et de pouvoir emprunter une ligne de crédit dite « Enhanced Conditions Credit Line » (ECCL) (ligne assortie de conditions renforcées sous les auspices du Mécanisme de stabilité européenne). La sortie du mémorandum, dont la classe dirigeante s’enorgueillissait sur le ton du triomphe, est non seulement différée, mais, de surcroît, ne rime pas avec la fin de la tutelle financière.

Face à la désillusion, le gouvernement grec a tenté de se maintenir au pouvoir malgré sa légitimité perdue. Avec l’appui inconditionnel de l’UE, il n’a pas hésité à détourner un processus institutionnel aussi majeur que l’élection présidentielle pour en faire l’arène d’un pseudo-consensus pro-austérité. Mais l’hystérie des derniers jours a aussi remis le projecteur sur l’état délétère du système politique grec. Le monstre infatigable du népotisme vacille entre peurs manipulatrices, échangisme politique et scandales montés.

A la suite de l’élection présidentielle avortée, lors des élections anticipées de janvier 2015, Syriza sera le meneur du jeu politique, seule chance pour la refonte du pays selon certains. Mais au-delà de son affichage anti-austérité, ce parti de gauche aurait-il une quelconque marge de manœuvre politique pour redéfinir les grandes lignes du problème grec ? Ou se substituera-t-il aux précédents gouvernements pour continuer la négociation avec la « troïka » en février-mars 2015, certes de façon un peu plus rude, pour le décaissement des tranches de 2014 et le nouveau programme imposé par la ligne de crédit ECCL ?

Admettons l’hypothèse que Syriza l’emporte et réussisse à constituer un gouvernement qu’il dirige. Il sera alors confronté à trois grandes difficultés. Premièrement, il devra composer avec une conjoncture exceptionnellement difficile avec une équipe de direction qui, à quelques exceptions près, n’a pas d’expérience gouvernementale. Elle se compose principalement d’universitaires marxistes brillants et de quelques vieilles « bêtes politiques » issues de la gauche communiste et réformiste.

Rouages dédaliques

Mais pour ce groupe d’intellectuels et d’idéologues, il ne sera pas facile de marchander avec l’Eurocratie et d’infiltrer ses rouages dédaliques. Ce manque de confrontation avec la bureaucratie européenne pèsera sans doute sur le pouvoir de négociation du parti dans le cadre très rigide de la coordination macroéconomique.

Deuxièmement, Syriza a placé la restructuration d’une importante partie de la dette grecque, détenue à présent par les autorités publiques européennes, au centre de son propos. Plus précisément, le projet combine une annulation partielle et un remboursement conditionné par une clause de croissance pour le reste de la dette. Le parti a même élaboré en commun avec le parti espagnol de la gauche radicale Podemos une proposition pour une solution globale avec un moratoire sur les intérêts et les amortissements pour cinq ans avec une prise en charge par la Banque centrale européenne (BCE).

La proposition peut sembler radicale. Mais elle rejoint le constat d’un nombre croissant d’économistes pour qui, dans une Europe piégée, pour certains de façon structurelle entre stagnation séculaire et récession-déflation, la restructuration des dettes publiques jugées insoutenables s’imposera tôt ou tard comme une issue incontournable. Pourtant, pour les élites politiques européennes, cette question reste encore aujourd’hui un sujet tabou. Mais admettons que dans l’état actuel des choses, l’UE se voit encline à ouvrir la discussion en matière d’une restructuration ordonnée d’une partie de la dette (premier volet de la position Syriza), elle le fera probablement en échange d’un respect à la lettre pour le futur des règles budgétaires, sans laisser la moindre latitude concernant le remboursement du reste (deuxième volet de la position Syriza).

Et voici le troisième point. Pour financer son programme de relance économique de 12 milliards, Syriza devra lutter contre le diktat de l’austérité. Mettre fin aux règles de l’austérité est le point qui rallie les électeurs potentiels de ce parti, venant des couches sociales les plus variées. Son succès est conditionné par une réforme radicale des règles de coordination et de gouvernance économique au plan européen. Mais dans quelle mesure un pays plongé dans le désastre qui est le sien, non seulement économique, mais psychologique et mental peut faire école et mettre en échec les pourfendeurs de l’austérité ? Il s’agit d’une mission particulièrement difficile, puisque, d’un côté, les accords intergouvernementaux, contraignants sur le plan politique, qui sous-tendent la gouvernance économique devront être incorporés dans le droit européen au plus tard en janvier 2019.

De l’autre, la décision du Conseil européen de 2012 et 2013 en faveur d’un certain infléchissement de la rigueur, promouvant une clause d’investissement, reste jusqu’à aujourd’hui inactive. Cette clause est soumise à trois conditions qui rendent de fait son application quasi impossible. C’est ainsi que le recours de cette clause par l’Italie en 2014 a été refusé. Le changement de méthode économique exige le tissage d’un réseau transnational de soutien politique ; la collaboration entre Syriza et « Podemos » va dans ce sens, mais elle ne suffit pas pour changer le cours des choses.

Face à ces challenges, ce n’est pas tant l’échec probable d’un parti non aguerri politiquement qui devrait attirer notre attention. Un échec peut devenir un succès s’il est utile, s’il révèle au grand jour l’échec de la doxa technocratique européenne. Pour la première fois depuis le début de la crise, l’UE sera appelée à affronter les demandes, assez justifiées, d’un gouvernement élu démocratiquement au risque de mettre la Grèce en échec économique total et jouer à la roulette son avenir politique dans la zone euro.

Par Filippa Chatzistavrou, chercheuse à la Fondation hellénique pour la politique européenne et étrangère (Eliamep)

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