Une journée historique dans l’air du temps: retour sur le 8 mai 1945

Le général Guisan salue les joueurs de l’équipe de Suisse de football. Berne, juillet 1945. — © keystone-sda.ch
Le général Guisan salue les joueurs de l’équipe de Suisse de football. Berne, juillet 1945. — © keystone-sda.ch

Le 8 mai, on commémorera pour la 75e fois la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Mais qu’est-ce qui est censé nous intéresser lors de cette journée du souvenir? Car, en soi, ce que la fin de la guerre a signifié pour la Suisse, pour l’Europe et pour le monde va bien au-delà du rappel de ce jour-là. Ce qui intéresse dans cette journée, c’est avant tout l’ambiance qui dominait alors: l’enthousiasme des gens qui chantaient et dansaient dans la rue et leur disponibilité soudaine à se sentir liés à de parfaits inconnus et à échanger avec eux. Cela dit, on rapporte aussi que d’aucuns laissèrent libre cours à leur colère contre les nazis et fracassèrent les vitrines de magasins allemands. Des photos souvenirs toujours accessibles aujourd’hui montrent les gens qui chantaient et dansaient dans la rue et les sonneries de cloches ordonnées par le Conseil fédéral.

Nombreux furent aussi ceux qui célébrèrent cette journée hors du commun en silence et dans le recueillement. Certains soulignèrent la particularité de ce moment historique en débouchant une bouteille de rouge mise de côté pour ce jour et s’offrirent un repas de fête ou savourèrent au moins, pour la première fois depuis longtemps, une tranche de pain bien beurrée. Un couple témoigne qu’il se décida ce jour-là à quand même avoir un enfant. Autre réaction: apprendre des langues étrangères, dans l’idée que le monde s’ouvrait désormais de nouveau.

L’allocution de von Steiger

Les soldats qui, jusqu’alors, souhaitaient impatiemment la fin de leurs obligations militaires étaient envahis par les souvenirs nostalgiques des jours de service accomplis. Quelques-uns auraient voulu prolonger le service actif, d’autres voulaient en finir aussi vite que possible. En dépit de l’opposition initiale du Conseil fédéral, le général Guisan put rassembler sur la place Fédérale tous les étendards de l’armée pour une ultime manifestation le 19 août 1945.

Avec le recul, ce que le président de la Confédération d’alors, Eduard von Steiger, déclara au peuple suisse le 8 mai dans une allocution radiophonique – et comment cela agit sur nous aujourd’hui – pourrait particulièrement nous intéresser. L’essentiel devrait correspondre aux attentes actuelles: l’appel à célébrer ce grand jour en toute modestie; les remerciements à l’armée et à la société civile, avec mention spéciale pour l’extension des surfaces cultivables; le remerciement général témoigné pour l’ampleur de la discipline et l’unité; la disponibilité deux fois mentionnée à aider par-delà la frontière et à se montrer «généreux». D’emblée le président de la Confédération citait les «indicibles souffrances des pays ravagés par la guerre».

Rétrospectivement, sa mise en garde que le temps des privations n’était pas encore fini, que l’on ne se trouvait que dans une phase de transition, apparaît particulièrement opportune. «Les difficultés que nous aurons à surmonter avant d’avoir tout ramené à une économie de paix sont grandes et éprouvantes. Les restrictions seront levées pas à pas.» Il n’est pas dit que la paix a été instaurée mais seulement qu’elle approche. Le tout lié – on est en mai – à une référence à la saison: «On ne va plus vers l’hiver mais vers l’été: la lumière, la chaleur et le bonheur des travaux pacifiques rayonnent devant nos yeux.»

Posture dénuée d’héroïsme

Tout le message est empreint d’une posture dénuée d’héroïsme, il est aussi question de «chance imméritée» et que cela est dû à quelque chose de «Plus Haut que le vouloir et le pouvoir humains». La Suisse est restée épargnée de l’horreur de la guerre avec l’aide de Dieu. D’une façon ou d’une autre, il fallait aussi évoquer la neutralité. La formulation peu claire n’osait pas lui attribuer une part de la chance d’avoir été épargnés; la déclaration consistait bien plus à dire qu’on avait réussi à maintenir la neutralité durant ces années de guerre: «Ainsi, dans cette guerre également, la Suisse a poursuivi avec fermeté et discipline sa politique de neutralité éprouvée et affirmée depuis des siècles, sous la protection de notre armée.»

D’un point de vue actuel, trois omissions se remarquent. Il va de soi que la politique de coopération économique avec les puissances de l’Axe était hors sujet. Le passage sur la mission humanitaire de la Suisse s’est limité à l’accueil des blessés graves, escamotant la politique des réfugiés dont le président de la Confédération était, en tant que chef du Département de justice et police, particulièrement responsable. L’évidence que la Suisse dut sa libération aux efforts militaires des Alliés n’a pas non plus été mentionnée, il ne leur a pas été rendu hommage. Le remerciement officiel aux Alliés n’est arrivé que plus tard. A la commémoration du déclenchement de la guerre en 1939, le 1er septembre 1989, le président de la Confédération d’alors, Jean-Pascal Delamuraz, rendit hommage à la contribution de l’étranger qui, au prix d’un lourd tribut de sang, avait permis à la Suisse de rester épargnée.

Georg Kreis, historien, ancien membre de la Commission Bergier.

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