Une ligne Le Havre-Marseille qui coupe la France en deux

Une ligne Le Havre-Marseille qui coupe la France en deux

Les commentaires de cartes électorales s’accompagnent parfois d’une remarque destinée à nuancer l’ensemble de l’analyse - et à donner bonne conscience à celle ou à celui qui l’écrit : attention, ce ne sont pas des départements qui votent, pas plus des communes, mais des individus, partagés entre de multiples appartenances géographiques, professionnelles, générationnelles et culturelles.

Il faut par conséquent, avant de découper mentalement les cartes de cette élection présidentielle, d’y trouver des logiques et des lignes de force, préciser que la géographie électorale, seule, n’explique rien. Et qu’accompagnée - de la sociologie, des sciences politiques, de la psychologie -, elle n’explique pas tout. Reste que les résultats à l’échelle des départements permettent quelques constatations simples.

En marche, l’effet Bayrou bis

Le phénomène Emmanuel Macron, censé rebattre les cartes du paysage politique français, semble plutôt être le résultat d’une synthèse réussie. Face à des candidats du Parti socialiste et de Les Républicains qui ont durci leur discours à l’occasion des primaires, le leader d’En marche occupe un espace politique perçu - à tort ou à raison - comme délaissé par ses adversaires.

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La carte du vainqueur du premier tour ressemble diablement à celle de François Bayrou en 2012, avec de gros scores en Bretagne et dans l’Ouest parisien, et, au contraire, des pourcentages très bas sur la Côte d’Azur. De fait, Macron récupère près de la moitié des électeurs de Bayrou en 2012.

Mais cela ne suffit évidemment pas et le candidat centriste a chassé avec succès sur les terres habituellement acquises à la droite, avec par exemple un très sarkozien (32 %) dans les Hauts-de-Seine, où il devance François Fillon. Adoubé par François Hollande, Macron réussit aussi, sans surprise, dans les régions où le précédent président avait atteint ses meilleurs scores. Paris fait figure de résumé : dans une capitale historiquement acquise aux partis de gouvernement et hostile au Front national, Macron frise les 35 %, quand Marine Le Pen ne dépasse pas 5 %.

De nouveaux territoires pour le Front national

De fait, le Front national continue de servir de repoussoir dans de nombreuses régions et doit son succès au renforcement de positions acquises depuis 2012 et avant. Comme lors des précédents scrutins, le discours national-populiste de Marine Le Pen rencontre des oreilles attentives dans les anciennes régions industrialisées de l’Est et du Nord, touchées par le chômage et la relégation sociale et spatiale. La leader frontiste enregistre des scores dépassant 30 % dans presque tous les départements du quart nord-est du pays, atteignant plus de 35 % dans l’Aisne.

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Sur la Côte d’Azur, moins anciennement acquise, le parti frontiste confirme ses progrès. Mais surtout, la lecture de la carte de l’abstention vient renforcer l’hypothèse d’un vote FN se nourrissant de relégation socio-spatiale : dans les Ardennes, les Bouches-du-Rhône ou le Var, où le FN atteint certains de ses meilleurs scores, la participation affiche des niveaux très éloignés de la moyenne nationale.

Une opposition entre est et ouest

Comme les résultats commune par commune le montrent traditionnellement, le centre des grandes agglomérations est hostile au vote FN. Les votes pour ce parti augmentent au fur et à mesure qu’on s’en éloigne. Une exception notable toutefois : Marseille, au cœur duquel Marine Le Pen fait de bons scores.

Mais la présidentielle de 2017 dessine aussi une opposition est-ouest. Alors, comme dans les manuels de géographie du secondaire, pourquoi se priver de tracer une belle ligne Le Havre-Marseille ? A l’ouest, le FN peine à percer, laissant la place à Macron, mais aussi à Mélenchon dans une certaine mesure. A l’est, au contraire, le parti de Marine Le Pen surfe avec succès sur les scories de la désindustrialisation, et récupère 37 % du vote ouvrier, catégorie qui est aussi la plus nombreuse à s’abstenir.

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Comme pour Trump aux Etats-Unis, l’hypothèse d’un vote national populiste massif chez les perdants réels ou supposés de la mondialisation ne suffit pas, loin s’en faut, à rendre compte de l’ensemble des enjeux de la présidentielle 2017. Elle n’en demeure pas moins une clé de lecture incontournable.

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Manouk Borzakian, Géographe (Lausanne).

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