Une médiation pour la Syrie est-elle encore possible? Oui!

Selon Mark Twain, on ne peut pas rétablir la «paix par la persuasion»: «Il nous faudrait d’abord apprivoiser la race humaine, et l’histoire semble indiquer que c’est impossible.» Les grands titres de l’actualité internationale incitent même les plus optimistes d’entre nous à partager cet avis. Prenons la Syrie, par exemple: n’est-elle pas emblématique des échecs récurrents des tentatives de rétablir la paix dans le monde?

Dans les faits, l’expérience récente a prouvé que Twain avait tort. Plusieurs études démontrent qu’il n’y a jamais eu si peu de guerres que de nos jours. Et même dans les conflits les plus durs, la médiation demeure l’un des instruments les plus fiables. Les échecs cuisants des années 1990 pour empêcher la catastrophe humanitaire au Rwanda et en Bosnie ont fait naître une volonté d’instaurer un cadre international qui rendrait la guerre moins acceptable, et la diplomatie préventive plus efficace (d’après Malcolm Chalmers, la prévention coûte environ quatre fois moins cher qu’une réponse internationale à un conflit).

Depuis, l’architecture de la paix internationale s’est considérablement renforcée; les opérations de maintien de la paix se sont multipliées, et une nouvelle Commission de consolidation de la paix oriente les pays en conflit vers une paix durable. Les mécanismes des droits de l’homme des Nations unies ont été revus en 2006 et, à mesure que le réseau international de justice pénale gagne en puissance, il devient de plus en plus difficile pour les auteurs de crimes graves d’échapper à leurs responsabilités. De nouvelles normes visant à empêcher les atrocités de masse telles que la «responsabilité de protéger» ont ébranlé le principe autrefois sacré de la souveraineté des Etats, et gagnent peu à peu du terrain (la situation syrienne représente un véritable banc d’essai pour l’application de ces nouvelles normes, avec les tâtonnements que cela implique).

Les horreurs en Syrie démontrent bien que l’infrastructure de la paix est pourtant loin d’être sans faille. Les institutions et les normes ne sont pas suffisantes pour dissuader tous les tyrans potentiels de déclarer une guerre. De nombreux conflits continuent à faire rage sous différentes formes. D’après le Armed Conflict Dataset, 36 des 37 conflits armés de l’an dernier se sont déroulés à l’in­térieur même des Etats. Le Printemps arabe a mis en lumière tout un éventail de déclencheurs de conflits dans le monde moderne: aspirations démocratiques non assouvies, mauvaise gestion économique, gouvernance défectueuse. A l’avenir, les pressions sur les ressources et le changement climatique engendreront des conflits sur les terres et l’eau; les trafics et autres délits transnationaux continueront à prospérer dans les pays faibles; et les terroristes et extrémistes exploiteront les défauts de gouvernance pour asseoir leurs idées radicales.

Même les plus forts des instruments internationaux ne suffiront pas à contrer toutes ces afflictions. Bien souvent, le dialogue est encore ce qu’il y a de plus efficace pour faire changer les dynamiques hostiles. Et c’est ainsi que, suite à une période d’interventionnisme militaire coûteux, la «paix par la persuasion» est redevenue à la mode. Dans son rapport de 2005 intitulé «In Larger Freedom», Kofi Annan a révélé que la médiation a mis fin à plus de guerres civiles ces 15 dernières années qu’au cours des 200 précédentes. Aux côtés des Nations unies, des gouvernements actifs dans le règlement des conflits et des organismes régionaux, de prestigieux médiateurs sont ­généralement déployés pour négocier la paix: l’engagement de M. Annan au Kenya suite au chaos postélectoral de 2008 a empêché une nouvelle grande effusion de sang, et d’anciens dirigeants politiques comme Mandela, Ahtisaari et Obasanjo ont fait pencher la balance du côté de la paix dans certains points chauds du monde.

Une communauté moins visible de «diplomates privés» a également joué un rôle central. Des organisations de médiation indépendantes et impartiales telles que le Centre pour le dialogue humanitaire (HD Centre) travaillent discrètement avec les différents protagonistes pour tenter de trouver des voies de conciliation. Le HD Centre a participé à de nombreuses interventions réussies, y compris en Libye, au Népal, au Soudan, en Somalie, aux Philippines et au Kenya, même si plusieurs de ses actions restent confidentielles. La diplomatie privée présente certains avantages face à la marge de manœuvre limitée des Etats et des organisations intergouvernementales. Ses acteurs peuvent intervenir rapidement et s’adapter avec créativité et souplesse aux changements de situation. N’étant pas personnellement impliqués dans le conflit, ils sont bien souvent considérés comme «d’honnêtes courtiers» et donc mieux acceptés.

Au fur et à mesure que le conflit évolue, il en va de même de ses protagonistes. Les Etats ne sont pas toujours enclins à entrer en contact avec les extrémistes, ter­roristes, seigneurs de guerre et autres indésirables susceptibles de se réunir autour de la table de la paix. Pourtant, l’appui de ces acteurs est souvent indispensable à l’établissement d’une paix durable, et les diplomates privés, soumis à moins de contraintes, peuvent ainsi emprunter des «chemins de traverse» pour négocier avec eux.

Il arrive bien sûr que la médiation échoue, car elle repose sur l’engagement d’adversaires imprévisibles. L’expérience de la Syrie montre que le dialogue devient encore plus difficile lorsque les parties estiment que la violence est la meilleure solution – notamment en l’absence de réponse internationale unifiée. Tandis que le carnage se poursuit en arrière-plan, le dialogue est bien souvent laborieusement lent, et les médiateurs se retrouvent parfois confrontés à de terribles dilemmes éthiques lorsqu’il s’agit de négocier avec des criminels de guerre et d’autres personnes de cet acabit. Pourtant, malgré cela, la médiation constitue bien souvent le seul chemin entre la paix et une situation encore plus tragique.

Il serait facile de négliger les chances qu’a l’envoyé spécial Brahimi de réussir une percée en Syrie. Plus les protagonistes ont tendance à se polariser, plus les chances de trouver un compromis s’amenuisent. Pourtant, même si la communauté internationale envisage des réponses plus affirmées, les tentatives de dialogue doivent malgré tout se poursuivre. Les intérêts, les situations et les rapports de force peuvent changer subitement, créant ainsi une opportunité éphémère d’ouvrir un véritable dialogue – une opportunité qu’il serait catastrophique de manquer lorsqu’elle se présente.

Telle est la leçon qu’en ont tirée les médiateurs dans d’autres conflits «épineux». Que ce soit en Irlande du Nord, aux Balkans, en Afrique ou en Amérique centrale, lorsque tout semblait perdu, des ouvertures ont fini par se présenter et par être exploitées avec l’aide de tierces parties. Généralement, les adversaires en arrivent à un point où ils sont prêts à discuter. En Syrie aussi, une situation similaire (aussi fugace soit-elle) se produira. Une base de discussion, même fragile, doit être en place à ce moment-là pour saisir cette opportunité.

Aucun outil à lui seul ne peut démêler les complexités des conflits modernes. Les éléments de l’architecture internationale de la paix doivent se compléter les uns les autres, le dialogue restant l’un des outils les plus couramment utilisés par les intervenants pour rétablir la paix. En 2011, le Rapport sur le développement dans le monde a calculé qu’en moyenne, une guerre civile coûte l’équivalent de 30 ans de croissance du PIB pour un pays en développement de taille moyenne. D’un point de vue humanitaire et financier, même si les chances de trouver une solution non violente semblent ténues (ce qui est fréquemment le cas), il y a bien plus à perdre à attendre sagement qu’à poursuivre vigoureusement le dialogue, encore et encore, jusqu’à ce que cela fonctionne.

Paul Dziatkowiec, chef de projet au Centre pour le dialogue humanitaire à Genève.

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