Une mémoire agissante pour contrer la folie génocidaire

Des victimes du génocide au Rwanda sont enterrées dans une fosse commune près de Kigali en 1994. © Reuters / CORINNE DUFKA
Des victimes du génocide au Rwanda sont enterrées dans une fosse commune près de Kigali en 1994. © Reuters / CORINNE DUFKA

L’année qui vient de s’achever a représenté une période importante de commémoration pour les Arméniens, pour les Juifs et pour les Bosniaques. Partout en Europe, de nombreuses activités (cérémonies du souvenir, colloques scientifiques, expositions, etc.) ont été consacrées à l’anniversaire des 100 ans du génocide arménien. Les derniers survivants des camps nazis ont participé, quant à eux, à une cérémonie de commémoration sur le site d’Auschwitz libéré il y a 70 ans.

Plus près de nous, à Genève, une grande exposition marquait les 20 ans du génocide de Srebrenica sur la Plaine de Plainpalais. 2015 a coïncidé aussi avec les dix ans du concept onusien de «responsabilité de protéger». Ce dernier a été forgé en réaction directe aux exactions massives commises dans le cadre du démembrement de la Yougoslavie et du génocide du Rwanda. Le 19 novembre dernier, le directeur des Nations Unies à Genève, Michael Moeller, rappelait ainsi solennellement le devoir des Etats de protéger leur population «des génocides, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et épuration ethnique».

Commémorer pour mieux prévenir

La prévention de ces atrocités demeure un immense défi pour la communauté internationale, les mesures de détection précoce et de sanction collective restant la plupart du temps inopérantes. Genève héberge toutefois aujourd’hui un bureau actif sur cette thématique, lequel collabore étroitement avec le Conseiller spécial pour la prévention du génocide et le «Core Group on the Responsibility to Protect» à New York. Assurer autant que faire se peut l’indépendance et la neutralité des juridictions nationales et internationales chargées de juger de ces crimes demeure la meilleure façon d’en garantir la légitimité et l’efficacité.

Des castes dirigeantes sanguinaires et corrompues détiennent le pouvoir et exercent le monopole de la force sur de vastes territoires dans plusieurs régions du globe. Les règles élémentaires du droit et de la morale ou le jeu des pressions politiques ne semblent hélas n’y avoir aucune prise sur le cours des événements. La conscientisation de la société civile et la mobilisation citoyenne à l’échelle internationale constituent dès lors un important instrument de prévention et de répression.

Les génocides commémorés cette année ont marqué une césure profonde dans l’histoire des communautés arménienne, juive et bosniaque, bouleversant notamment leur rapport à la géographie et à la souveraineté. Ils ont affecté le destin de millions d’individus et de leur famille. Certaines de leurs traces sont encore visibles sur les lieux des crimes et, dans beaucoup de mémoires, elles sont indélébiles. Ils ont largement innervé et continuent d’influencer la production intellectuelle, culturelle et artistique.

Elaborer des valeurs communes

D’autres groupes humains ont subi des tragédies similaires ou comparables au cours du XXe siècle. D’aucuns n’hésitent d’ailleurs pas à qualifier le siècle passé de «siècle des génocides». Avec la disparition progressive des survivants et des témoins de ces horreurs, l’enjeu de la transmission de la mémoire à travers les générations se révèle crucial. Le besoin de partager la dimension universelle de l’expérience – au sein et par-delà les différents groupes religieux, ethniques et culturels – est aussi particulièrement marqué. La nécessité de réfléchir collectivement aux moyens de prévenir de telles tragédies se fait plus que jamais sentir. Le dialogue et l’échange sur ces questions permettent d’élaborer des valeurs communes par-delà les clivages et d’éviter que s’en créent de nouveaux au sein de nos sociétés.

Malgré le respect accordé au principe de la liberté d’expression dans les sociétés démocratiques, le combat contre la négation des crimes de génocide demeure une absolue nécessité. Il implique d’adapter l’arsenal juridique des Etats européens à la lutte contre la propagation des thèses négationnistes. Pluridisciplinaires, les travaux des chercheurs éclairent la complexité des questions d’ordre politique, juridique, épistémologique et moral soulevées par les tragédies génocidaires ainsi que la multiplicité de leurs répercussions sociales et psychologiques. Les moyens judiciaires et non-judicaires pour y faire face reposent sur différents principes: rétribution, réparation, compensation, recherche de la vérité, encouragement au pardon et à la réconciliation, etc. Ils doivent continuer à être étudiés et perfectionnés. Ils permettront en effet d’améliorer la prévention, mais aussi de dégager des enseignements indispensables au «vivre ensemble» et à la défense des minorités au sein de nos sociétés multiculturelles.

Emmanuel Deonna, Astrid Marandjian et Ivar Petterson.

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