Une opération malienne à hauts risques

Après avoir été longtemps réticent à toute idée d’intervention extérieure, le gouvernement intérimaire du Mali a, fin septembre, officiellement demandé au Conseil de sécurité des Nations unies d’autoriser le déploiement sur son sol d’une opération militaire de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) afin «d’aider l’armée malienne à reconquérir les régions du Nord occupées» par divers groupes islamistes armés, dont Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Dans sa résolution 2071 adoptée la semaine dernière, le Conseil prend acte et invite les autorités maliennes et la CEDEAO à fournir davantage de précisions sur la force proposée.

S’il existe un consensus large sur la nécessité de répondre à la menace constituée par l’établissement au Nord Mali d’un sanctuaire de groupes islamistes pouvant conduire des activités terroristes et criminelles dans toute la zone du Sahel, l’idée selon laquelle l’opération militaire telle qu’elle se dessine soit l’axe principal de cette réponse mérite un examen un peu plus détaillé.

L’opération projetée au Mali ne sera pas, à proprement parler, une opération de maintien de la paix, dans la mesure où elle intégrera une dimension coercitive – le rétablissement par la force de la souveraineté malienne – qui ne caractérise pas les opérations de maintien de la paix telles que mises en œuvre par l’ONU.

L’opération de la CEDEAO peut néanmoins être analysée à la lumière des critères jugés indispensables au succès des opérations multidimensionnelles de maintien de la paix. Quels sont ces critères? Il convient en premier lieu d’avoir le plein consentement de l’Etat hôte de l’opération, sans lequel celle-ci risque de se heurter à une résistance locale rendant difficile le déploiement, et surtout la bonne mise en œuvre du mandat. Deuxièmement, une opération extérieure doit répondre à un mandat clair et réaliste, sur lequel s’entendent l’institution mandante – en l’occurrence le Conseil de sécurité des Nations unies – l’Etat hôte et les principaux Etats contributeurs. Troisièmement, l’opération doit bénéficier d’une implication optimale des Etats contributeurs, lesquels doivent être disposés à mettre en œuvre le mandat dans sa totalité et dans la durée. Quatrièmement, le succès de l’opération sera d’autant plus grand que les Etats de la région soutiendront l’opération et, le cas échéant, faciliteront sa bonne marche. De même, une opération multidimensionnelle mandatée par le Conseil de sécurité ne peut être efficace sans le soutien à tout le moins de ses cinq membres permanents. Enfin, comme toute opération militaire, les chances de succès dépendent en grande partie de la conduite, simultanément, d’un processus politique visant à traiter le problème sur le fond. Dans le meilleur des cas, l’opération n’est qu’un des volets d’une réponse multiforme dont l’aspect politique est déterminant.

Malheureusement, la projection de ces cinq critères sur le cas malien n’augure pas d’une situation favorable. Certes, le consentement de l’Etat malien est acquis, mais les hésitations qui l’ont précédé, le degré de légitimité du gouvernement intérimaire et surtout les divisions au sein de l’appareil d’Etat et des forces armées maliennes ne sauraient présager d’un soutien plein et persistant à une présence militaire extérieure. S’agissant du mandat, au moins deux aspects sont problématiques: d’une part, les difficultés rencontrées par la CEDEAO dans la planification de l’opération ont déjà révélé les limites de son degré d’organisation et de sa capacité à produire des plans opérationnels en rapport avec l’ambition du mandat; d’autre part, le caractère réaliste de la «reconquête» des régions du Nord par les forces maliennes soutenues par la CEDEAO – et accessoirement par les Français – est sujet à débat. Quelle que soit l’efficacité du soutien français, la capacité de l’armée malienne, qui est à reconstruire, et des contingents de la CEDEAO à effectivement repousser, dans un environnement urbain au moins dans un premier temps, des groupes islamistes armés, entraînés et déterminés, reste hypothétique. Qu’ils soient ensuite capables de tenir par la force et dans la durée les positions prises l’est tout autant.

Troisièmement, le degré d’implication et d’efficacité des contingents – vraisemblablement du Nigeria, du Togo, du Sénégal, et peut-être du Tchad et de l’Afrique du Sud – sur un terrain désertique qu’ils connaissent mal pour la plupart et dans des opérations potentiellement dangereuses, est également source de doute. Le déploiement de la mission prendra au moins quelques mois, et la mise en œuvre de son mandat est susceptible d’être très longue. Ses principaux acteurs seront-ils toujours déterminés à œuvrer pour la restauration de la souveraineté malienne après plusieurs années? Et à quel prix? Une rapide comparaison avec d’autres opérations africaines montrerait à quel point leurs Etats contributeurs sont peu enclins à prendre des risques dans la durée, et à aller au-delà d’une interprétation minimaliste de leur mandat.

Quatrièmement, si l’adoption d’une résolution du Conseil de sécurité devrait initialement marquer l’unité du Conseil, celle-ci ne serait pas garantie à plus long terme pour une opération jusqu’à présent portée à bout de bras par la France. Les cas libyen et syrien ont montré à quel point le recours à la force, autorisé par le Conseil, pouvait être source de tensions, voire de blocage dans la gestion des crises. Sur le plan régional, l’Algérie, dont le rôle dans la stabilité du Sahel est crucial, se montre jalouse de sa souveraineté, craint les effets d’une possible déstabilisation à ses frontières et perçoit avec nervosité la perspective d’une présence française sur son flanc sud.

Enfin, la mise en place d’une opération militaire ne peut faire l’économie d’un processus politique portant non seulement sur la situation politique au Mali – processus électoral, dialogue avec le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) à la suite de la présentation de sa «plate-forme politique» et de sa disponibilité à négocier avec Bamako –, mais également sur la stabilité régionale et la façon de répondre à la menace terroriste et criminelle sur les moyen et long termes. L’Union européenne a adopté une stratégie pour le Sahel et planifie une opération de formation de l’armée malienne, mais s’impliquera sans enthousiasme; l’ONU est, quant à elle, présente au travers de différents programmes régionaux et vient de nommer, en la personne de Romano Prodi, un envoyé spécial pour le Sahel, mais ces actions ne dessinent pas une stratégie d’ensemble. S’il est essentiel d’éviter que le Mali ne devienne une nouvelle Somalie, l’option militaire ne peut se substituer à une approche globale impliquant l’ensemble des acteurs internationaux et régionaux, et s’inscrivant sur le long terme. Celle-ci reste à construire.

Thierry Tardy, Senior Fellow au Centre de politique de sécurité de Genève.

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