Une partie de l’extrême droite européenne revient à l’action violente

En Italie et en Autriche, elle est au gouvernement ; en France, elle est représentée à l’Assemblée nationale ; en Suède, elle est aux portes du pouvoir ; en Allemagne, elle est dans les rues et elle chasse les migrants. Nous pourrions multiplier les exemples…

L’extrême droite a le vent en poupe en Europe. De quoi se nourrit-elle ? Pourquoi est-elle aussi dynamique ?

Le dynamisme des extrêmes droites populistes européennes n’a pas échappé à l’œil avisé de Steve Bannon, ancien proche conseiller du président américain Donald Trump. Il a fait, ces derniers mois, la tournée des groupuscules européens afin de les unifier. Une tentative qui se conclura par un échec, les formations étant trop éclatées et différentes. Surtout, plusieurs d’entre elles sont des répulsifs pour les autres : c’est le cas, par exemple, du Rassemblement national de Marine Le Pen, encore jugé trop antisémite par les populistes hollandais.

Le rejet de l’autre

Les formations radicales ne sont pas en reste : les animateurs de l’Alt-right américaine les observent et traduisent les productions théoriques de ses intellectuels. Il y a en effet un jeu de références réciproques : les intellectuels européens, comme les essayistes Alain de Benoist et Guillaume Faye, sont lus et discutés aux Etats-Unis et, en retour, les principaux intellectuels américains sont traduits en Europe. Ainsi, le théoricien païen, postnazi et suprémaciste blanc Greg Johnson a été traduit en français en 2016.

Cependant, M. Bannon ne prend pas en compte le fait que les extrêmes droites européennes, du fait des histoires nationales différentes, sont diverses et propres à chaque pays : elles ont des origines et des manifestations différentes. Certaines sont religieuses, d’autres sont issues du fascisme ; d’autres encore jouent la voie électorale tandis qu’une dernière catégorie est violente et révolutionnaire.

Malgré tout, il est possible d’énumérer des thématiques communes. On a, par exemple, le rejet de l’autre – l’étranger, le migrant –, forcément criminel et violeur, mis en avant par les formations radicales, notamment identitaires.

Ce n’est pas un thème récent, loin de là. Ainsi, la revue Europe-Action, fondée par Dominique Venner dans le sillage de la fin de la guerre d’Algérie, affirmait déjà que l’immigré algérien était à l’origine des viols et des agressions alors commis en France. Cinquante ans plus tard, les extrêmes droites européennes le mettent encore en avant.

« Le grand remplacement »

Il y a aussi l’idée, très présente chez ces groupuscules, d’une volonté de la part des « élites » de provoquer une substitution ethnique des populations européennes : c’est ce qu’ils appellent « le grand remplacement ».

Là encore, ce n’est pas vraiment récent : cette idée vient des milieux néonazis des années 1950, en particulier des militants français René Binet et suisse Gaston-Armand Amaudruz. On la retrouve toujours dans la mouvance identitaire et/ou néonazie.

L’objectif supposé de ces élites, vues par ces militants comme immigrationnistes, serait de mettre en place un « génocide » lent des populations européennes. De fait, les différentes extrêmes droites s’inquiètent de l’avenir de la « race blanche » et combattent les politiques migratoires, sources de chaos social et de déclin civilisationnel, voire génétique. Ce refus est violent outre-Rhin – pensons aux incidents ayant eu lieu ces jours-ci en Saxe à Chemnitz, en ex-République démocratique allemande –, tandis qu’en Italie, Matteo Salvini, homme fort de la Ligue et ministre de l’intérieur, refuse l’accès des ports de son pays aux navires, y compris italiens, venant en aide aux migrants risquant leur vie en Méditerranée.

L’islam bouscule les habitudes

Il y a aussi, et évidemment, le rejet de l’islam, cette religion crispant l’extrême droite depuis les années 1980. Aujourd’hui, ce rejet entre en résonance avec les préoccupations des opinions publiques européennes, non pas suite aux attentats perpétrés depuis 2013 par l’organisation Etat islamique, mais dès le 11 septembre 2001.

Ces militants sont d’ailleurs persuadés que les islamistes ont déclaré la guerre à l’Occident : par attentats évidemment, mais aussi par une colonisation inversée à la fois culturelle et ethnique. Pourtant, à l’extrême droite, il a existé des tendances favorables au monde arabo-musulman, développant une sorte de tiers-mondisme, souvent motivé par l’antisémitisme, parfois par l’antiaméricanisme, plus logiquement par les deux.

Ces tendances ont disparu au profit des idéologies identitaires, dominantes depuis une dizaine d’années. En effet, la visibilité de l’islam à compter des années 1980 a bousculé les habitudes des populations européennes par le port du voile, l’essor de la consommation de produits halal ou la multiplication des lieux de culte. L’islam a eu du mal à trouver sa place en Europe, provoquant méfiance et rejet (« On n’est plus chez nous »). D’autant que cet islam était travaillé durant le même temps par ses propres démons : l’islamisme.

Longtemps confinées à l’extrême droite, ces critiques ont donc trouvé un écho dans les opinions publiques à la fin des années 1990 : les musulmans seraient incapables de s’intégrer, d’accepter les valeurs de la civilisation européenne… Les formations identitaires ont fait de ces critiques le fondement de leur idéologie.

Protéger l’Europe des vagues de migrants

Enfin, il y a au sein des populations européennes un rejet croissant des formations politiques classiques au profit des partis populistes xénophobes, ainsi qu’une volonté de ces mêmes populations d’avoir une offre politique à la fois autoritaire et protectionniste, qui les protégerait de la mondialisation et qui donne un cadre rassurant.

Si les partis d’extrême droite sont en essor, il est à noter, et l’exemple allemand le montre brutalement, qu’une partie de l’extrême droite européenne revient à l’action violente.

Pourtant, des cadres politiques avaient fait le constat de la stérilité de cette voie. Elle restait le fait de la mouvance « bonehead » (les skinheads d’extrême droite) et des groupuscules néofascistes. Mais l’arrivée massive de réfugiés ou de migrants et l’impression de la mollesse des formations ayant choisi la voie électorale ont poussé les éléments les plus radicaux à revenir à la violence politique.

En effet, les arrestations de personnes projetant de commettre des crimes, des attentats ou cherchant simplement l’affrontement se multiplient… Certains militants n’hésitent d’ailleurs plus à se revendiquer du national-socialisme, sans pour autant se dire skinhead. Etre qualifié de « nazi » reste pourtant la disqualification la plus violente.

Il faut faire le constat que les mentalités extrémistes de droite évoluent et se radicalisent, ou plutôt reviennent à de vieilles pratiques, violentes, comme on le voit un peu partout en Europe. Il s’agit, pour ces militants, de protéger l’Europe des vagues de migrants. Un slogan identitaire ne dit-il pas « Defend Europe » ?

Des militants ne se contentent plus de sit-in ou d’opérations médiatiques. Convaincus d’être en guerre, ils ont décidé de passer à l’acte, comme l’escomptaient les différents militants français arrêtés depuis 2015, comme les membres du mouvement skinhead picard du White Wolf Klan ou, dernièrement, les activistes de l’Action des forces opérationnelles.

En position de force

Il faut craindre une augmentation des violences d’extrême droite dans les mois et les années à venir. Une violence qui touchera principalement les populations musulmanes, ou considérées comme telles. Avec un phénomène inquiétant : les opinions publiques seront de moins en moins hostiles à ces violences, considérant que, d’une certaine façon, les musulmans l’ont cherché « en refusant de s’intégrer et en imposant leur mode de vie »

A la fin des années 1970, les Européens acceptaient les boat people. Aujourd’hui, les mentalités ont changé : on préfère laisser les migrants mourir en Méditerranée. Les activistes ont pris acte de cette évolution et se sentent en position de force. Ils le font bruyamment savoir, un peu partout en Europe.

Malheureusement, cela ne changera pas dans un futur proche, au contraire : l’extrême droite, en se radicalisant, va devenir un danger. Comme je l’ai écrit plusieurs fois, le risque d’attentats devient de plus en plus important. En étant pessimiste, on peut d’ailleurs craindre une évolution à l’américaine, avec un terrorisme d’extrême droite récurrent.

Stéphane François est docteur en science politique, chercheur associé au CNRS, historien des idées et spécialiste des droites radicales.

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