Une réorientation stratégique de la place du Brésil dans le monde

Le président Jair Bolsonaro ouvrira-t-il l’Assemblée générale de l’ONU en septembre 2019 ? Si l’usage onusien veut que le chef d’Etat brésilien réalise le discours inaugural de cette grand-messe diplomatique, la question mérite d’être posée dès aujourd’hui. Conforté par sa nette victoire face au Parti des travailleurs (PT, gauche) qu’il abhorre, l’ancien capitaine de l’armée entend faire de l’international un marqueur de sa politique d’extrême droite pour les années à venir.

A lire ses Tweets, la défense du multilatéralisme, des minorités et des réfugiés, la lutte contre le réchauffement climatique et pour l’égalité femmes-hommes, l’approfondissement de l’intégration régionale en Amérique du Sud et du dialogue politique sud-sud, étant le fruit, selon lui, d’une idéologie « marxiste et globaliste », seraient à bannir afin de « libérer le Brésil ». Récemment, Ernesto Araujo, nouveau ministre des affaires étrangères brésilien, a défini les contours de cette stratégie : elle passerait avant tout par « l’élimination de l’idéologie PTiste » au sein de ce ministère.

Une lettre anonyme de diplomates

Ce discours d’un autre temps, mêlant théories du complot et idées reçues de la guerre froide, que l’on pensait réservé à un cercle d’illuminés, va pourtant être au cœur de la politique étrangère du Brésil, suscitant l’indignation et la colère d’une bonne partie de « l’Itamaraty », le Quai d’Orsay brésilien, considéré comme l’un des meilleurs corps diplomatiques du monde. Fait rarissime, une lettre anonyme, rédigée par des diplomates de tous bords politiques, a été publiée fin décembre 2018 par la presse nationale, soulignant le caractère « absurde » voire « inquiétant » des initiatives du nouveau gouvernement, qui aurait déjà constitué une liste noire de diplomates à « purger ».

Paradoxalement, l’ampleur de ces bouleversements interpelle autant l’Elysée que la Maison Blanche. Pour Emmanuel Macron, ce basculement dans le camp des pays alignés à Donald Trump est une mauvaise nouvelle. Malgré la perte d’influence du Brésil dans les grands dossiers mondiaux, dû en bonne mesure au désintérêt de Dilma Rousseff pour les questions internationales, aux conditions plus que contestables de l’arrivée de Michel Temer au pouvoir, ainsi qu’à la multiplication des scandales de corruption, ce pays restait à l’avant-garde de la défense du multilatéralisme, conformément à sa tradition diplomatique.

Du sommet de Rio en 1992 à la COP21 (2015), Brasilia s’était imposé comme l’un des acteurs-clés des négociations climatiques internationales. Aujourd’hui, la décision de Bolsonaro de renoncer à l’organisation de la COP25 et de mettre en doute le maintien du Brésil dans l’accord de Paris sur le changement climatique remet en question ce leadership.

Soutien irréductible à Israël

Face à cette nouvelle donne, qui se traduira également par l’accroissement de la déforestation de l’Amazonie et par une augmentation de la violence dans les zones rurales (notamment vis-à-vis des paysans sans terre), la France a annoncé son souhait de reporter sine die toute finalisation de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur. Depuis, par Tweets interposés, la tension monte entre le Quai d’Orsay et Bolsonaro, ainsi que certains de ses conseillers et sympathisants, qui n’ont pas hésité à rendre hommage à un général nazi afin de le comparer avec Macron.

Du côté de Washington, cet alignement univoque du Brésil sur les positions étatsuniennes a surpris dans un premier temps. Car le « deal » proposé par Bolsonaro à Trump va au-delà d’un simple rapprochement ; il s’agit d’une réorientation stratégique de la place du Brésil dans le monde, qui présente d’indéniables avantages pour le président étatsunien.

Non seulement la diplomatie de Bolsonaro fait usage des mêmes méthodes que celles de l’entrepreneur milliardaire, mais elle entend constituer avec celle de ce dernier une communauté de valeurs, basée sur la critique virulente de la place de la Chine dans le jeu international, le soutien irréductible à la politique israélienne, le mépris pour l’Europe et les organisations internationales, la lutte contre les régimes vénézuéliens, cubains et nicaraguayens, mais aussi la volonté de criminaliser les migrants et les réfugiés, l’opposition farouche à une régulation du port d’armes, et le refus de dépénaliser les drogues.

Les déplacements, fin novembre 2018, du fils du président brésilien, Eduardo Bolsonaro, à la Maison Blanche, et du conseiller à la sécurité nationale de Trump, John Bolton, à Rio, scellent cette alliance stratégique.

La Chine, principal partenaire commercial

Si les gains sont évidents pour Washington, les avantages pour Brasilia de marcher main dans la main avec Trump, Salvini et Orban dans une « Internationale conservatrice » sont nettement plus nébuleux et risqués. Le principal partenaire commercial du Brésil ne se trouve pas au Nord, mais à l’Ouest, et lorsque l’empire du Milieu a fait preuve d’exaspération, il n’a pas hésité à taper sur la table, comme en décembre 2018 dans l’affaire Huawei. D’autre part, si Bolsonaro confirmait le changement du siège de l’ambassade du Brésil en Israël de Tel-Aviv à Jérusalem, les pays arabes, qui consomment près de 40 % des exportations de poulet du pays, pourraient boycotter le Brésil en représailles.

Depuis 2017, le Brésil cherche à adhérer à l’OCDE, sans succès, du fait de l’opposaaaaaaition étatsunienne. Si demain les choses évoluaient, Trump sera-t-il prêt à soutenir activement cette candidature alors même qu’il ne cesse de torpiller les organisations internationales ? Surtout, que fera le Brésil si Trump n’est pas réélu en 2020 ? Si les arbitrages à ces questions vont être le fruit d’un compromis entre les différents pôles de pouvoir ayant une incidence sur le président du Brésil, les décisions finales lui appartiendront.

Ce dernier ayant fait le choix de la soumission, il n’est pas étonnant que Trump se soit contenté d’envoyer son secrétaire d’Etat, Mike Pompeo, à la cérémonie d’investiture de son homologue – contrairement à Barack Obama qui avait dépêché son vice-président, malgré ses mauvaises relations avec Dilma Rousseff. Car Donald Trump ne comprend que le rapport de force. Et à ce jeu-là, le Brésil risque de perdre son autorité et sa crédibilité sur l’autel d’une alliance néfaste où il ne sera qu’un adjudant.

Gaspard Estrada est directeur exécutif de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes (OPALC) de Sciences Po.

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