Une seule question : qui finira par payer ?

La gestion des dettes publiques sera le débat européen des années à venir. Si la Grèce occupe toutes les énergies, ce n’est pas à cause des montants en cause, faibles au regard de la richesse européenne. Les véritables enjeux sont les solutions qui vont être choisies, car elles seront décisives pour les autres pays, et donc pour la construction budgétaire européenne, dans les dix prochaines années. Qui paiera pour les dettes publiques ? Plus important encore : qui décidera qui va payer ?

Une première solution est de faire payer les générations futures. Il suffit pour cela soit de laisser l’endettement public augmenter, par exemple dans les pays du sud de l’Europe, soit de restructurer les dettes publiques pour allonger leur maturité. Cette option pourrait être moins scandaleuse qu’il n’y paraît, si une croissance économique élevée devait faire décroître le coût futur de la dette par rapport au revenu disponible.

C’est d’ailleurs ce choix qui avait été fait par les pays européens dans l’après-guerre. Mais il semble aujourd’hui injuste aujourd’hui pour deux raisons. Tout d’abord, la croissance future pourrait être durablement faible dans les années à venir : les innovations dans le domaine du numérique, par exemple, pourraient ne pas générer une croissance élevée des recettes fiscales ; la « stagnation séculaire » nous guette.

Défaut inconcevable

D’autre part, les générations futures devront déjà payer le coût de la transition énergétique et des conséquences du changement climatique. Leur infliger une double peine pourrait passer pour l’égoïsme d’une génération.

Il reste trois autres options : le défaut, la monétisation et la mutualisation.

Le défaut sur les dettes publiques n’est pas inconcevable. Cela correspond à une taxe sur les détenteurs de la dette publique. Au lieu de les taxer pour leur payer ensuite les intérêts sur la dette, les intérêts ne sont simplement pas payés. Comme les détenteurs de la dette publique sont les ménages les plus riches, cette taxe est globalement une taxe progressive sur la richesse.

Mais il est possible qu’un défaut souverain affecte principalement les classes moyennes, car les ménages les plus riches sont plus aptes à protéger plus rapidement leur richesse. Par exemple, peu de ménages français se sont posé la question du sort de leur assurance-vie en cas de défaut de pays européens.

Ensuite, un défaut souverain peut mettre en faillite des banques saines, mais qui possèdent des quantités importantes de dettes publiques. Les avancées de l’union bancaire et de la réglementation financière européenne réduisent ce risque, mais l’expérience de la faillite de Lehman Brothers aux Etats-Unis montre que l’on n’en maîtrise pas tous les effets.

Monétisation discutée

La monétisation est une hypothèse de plus en plus discutée parmi les économistes. Les banques centrales, nationales ou européennes, pourraient acheter massivement les dettes publiques pour les effacer, les Etats ne payant pas les banques centrales ou les payant avec la monnaie créée par les banques centrales elles-mêmes.

En réalité, les dettes publiques ne sont pas effacées, mais payées par d’autres. Car si les Etats ne paient pas les banques centrales, celles-ci vont générer moins de ressources et donc moins de profits. Comme les profits des banques centrales sont distribués aux Etats – ce que l’on appelle la rente de seigneuriage – cela revient à diminuer les ressources des Etats et donc à faire payer les contribuables nationaux. Si la dette publique est payée par la création monétaire, cela générera de l’inflation, qui est une taxe sur la monnaie détenue par les ménages. Si une hausse de l’inflation est aujourd’hui souhaitable, les effets redistributifs de la taxe inflationniste sont en revanche mal connus.

Cette taxe semble être progressive, mais il n’est pas sûr qu’elle affecte les revenus les plus élevés. L’intérêt de la monétisation est cependant qu’elle est moins visible : le rachat des dettes par les banques centrales ne demande pas de débat au Parlement, par exemple.

La mutualisation est la dernière option. Imaginons que les pays européens n’émettent plus de nouvelle dette, mais que toute nouvelle dette soit émise directement au niveau européen, sous forme d’« eurobond » par exemple. Les intérêts sur cette nouvelle dette seraient payés par un nouvel impôt européen sur le revenu, permettant de diminuer les impôts nationaux.

Au nom de la solidarité

Dès lors ce sont les détenteurs des revenus les plus élevés en Europe (les Allemands par exemple) qui paieraient pour les budgets publics déficitaires. Alors que les Allemands ont choisi de faire décroître rapidement leur dette publique et que leur population se réduit, on devine qu’il pourrait être difficile de les convaincre de payer pour les autres.

Il faut, soit montrer que les efforts sont justement partagés au nom d’une solidarité européenne, soit que la survie de la zone euro est en jeu et qu’il y va de leur intérêt particulier de participer à l’effort commun.

Où placer le curseur entre les trois options ? Certes, l’efficacité économique de chacune d’entre elles est différente. Mais la question n’est pas là. L’impôt, explicite ou implicite, renvoie à une vision de la justice sociale : la contribution de chacun et chacune aux besoins publics. La solution choisie est moins importante que le débat qui permettra d’accepter, ou pas, cet impôt futur.

Car quelle que soit l’option retenue, les intérêts sur les dettes publiques européennes seront en très grande partie payés par les citoyens européens.

Xavier Ragot (Président de l’Observatoire français des conjonctures économiques et chercheur CNRS)

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