Une vague blanche pour une Syrie libre

Le 17 avril 2012 marque le 66e anniversaire de l'indépendance syrienne. De l'État souverain à un pays libre, un grand pas reste à franchir. Enhardi par le "printemps arabe", toute une société s'est mise en marche depuis un an pour réclamer la justice et la dignité, mais n'a obtenu pour réponse des autorités que des arrestations et des tortures, des balles et des bombes.

Le décompte scrupuleusement tenu par l'ONU frôle à ce jour les 10 000 morts, dont 800 enfants et 500 prisonniers achevés par leurs bourreaux. Selon les ONG, le nombre des disparus s'évalue en dizaines de milliers, les réfugiés à l'étranger dépassent les 200 000, les personnes déplacées à l'intérieur des frontières approchent le million. Il ne s'agit pas d'un désastre humanitaire mais d'un crime contre l'humanité, à la démesure de l'avidité et de la férocité d'un régime qui opprime et spolie son peuple depuis des décennies.

Lattaquié bombardée, Hama pilonnée, Dera écrasée, Homs dévastée, Idleb attaquée, Alep et Damas en état de siège : fidèle émule de son père Hafez, qui déchaina ses troupes contre les villes rebelles en 1982, Bachar Al-Assad est passé d'une répression sans vergogne à une terreur sans nom. Les pacifiques manifestants payent d'un prix exorbitant leur aspiration à la démocratie. Abattus sur place s'ils refusent de tuer, des centaines de soldats et d'officiers n'ont guère d'autre choix que de passer avec leurs armes aux côtés des protestataires. La militarisation du conflit progresse de semaine en semaine, car le clan au pouvoir préfère une guerre civile doublée d'une crise internationale et aggravée d'affrontements interconfessionnels à des concessions qui précipiteraient sa chute.

À tout moment le Hezbollah libanais, les pasdarans iraniens, voire leurs alliés irakiens sont prêts à jeter de l'huile sur le feu. C'est pourquoi Bachar Al-Assad joue la montre au risque de l'irréparable, avec la coupable indulgence de la Russie et de la Chine dont le veto a bloqué par deux fois la condamnation du Conseil de sécurité. En dépit des remontrances de son secrétaire général et d'une résolution de son Assemblée générale, l'ONU laisse se perpétrer des exactions dont son rapporteur spécial pour les droits de l'homme dresse l'inventaire mais dont les juridictions internationales tardent à se saisir. Cette impuissance ramène la communauté des nations vingt ans en arrière, lorsqu'elle multipliait les missions de bons offices sans empêcher le supplice des cités bosniaques.

Malgré la bonne volonté de l'opposition, le précaire cessez-le-feu arraché par Kofi Annan au matin du 11 avril est la proie des provocations des Moukhabarat, les services secrets du régime. Il faut espérer que l'accord concocté par l'envoyé des Nations unies et de la Ligue arabe ouvre la voie au déploiement d'observateurs, de journalistes, de médecins et de secouristes. Cependant il ne ménage aucun processus de transition et les précédentes tentatives de médiation, qui ont éventé les ruses du satrape de Damas, montrent que ce dernier n'entend que deux langues : celles de la force et de l'argent.

La diplomatie française, dont l'implication mérite d'être saluée dans ce cas d'espèce, doit donc poursuivre son action pour liguer contre les massacreurs les "Amis de la Syrie", parmi lesquels veulent s'inscrire les membres de la Ligue arabe, de l'Union Européenne et de la Turquie, les États-Unis et d'autres gouvernements conscients que la tyrannie est cause de troubles et que la paix au Proche-Orient passera par les progrès du pluralisme et de l'état de droit. Une solution politique nécessite au préalable le renforcement des sanctions contre l'entourage des Al-Assad et les entreprises travaillant pour leurs affidés, la saisine des cours de justice habilitées à poursuivre les criminels, une reconnaissance pleine et entière du Conseil national syrien dans ses efforts pour fédérer les différentes composantes de l'opposition, et le cas échéant l'imposition de zones de sécurité aux frontières du pays. Avec l'aide des démocrates russes, qui relèvent la tête, il importe à ces fins d'exercer une pression beaucoup plus résolue sur Moscou, principal protecteur de Damas dans l'arène internationale.

Tout cela, les États ne l'entreprendront que si leurs opinions l'exigent. Or il existe un contraste saisissant entre l'ampleur de la réprobation à l'encontre du dictateur et la faiblesse de son expression sur la scène publique. La campagne électorale semble se dérouler à huis clos comme si la France s'était retranchée du monde. Les candidats abordent à peine les affaires internationales sur lesquelles on omet de les interroger, hormis les débats sur la dette qui couvrent le vacarme des chars et les cris des victimes.

Il est temps de rompre ce silence. C'est le sens de l'opération "Une vague blanche pour la Syrie" qui sera lancée mardi 17 avril, depuis l'esplanade des Droits de l'Homme, au Trocadéro, avec le soutien de la Fédération Internationale des droits de l'homme, de la Ligue des Droits de l'homme, de l'Ordre des avocats de Paris, de nombreuses collectivités territoriales, de la plupart des syndicats et de l'ensemble des associations de solidarité avec le peuple syrien. Toute simple, l'idée de la photographe Sarah Moon a été adoptée en trois semaines à peine par une kyrielle de personnalités des arts, des sciences, du sport et de la presse, de Stéphane Hessel à Sophie Calle et Catherine Deneuve à Yannick Noah, qui s'y sont déjà prêtées sur le site Vague blanche pour une Syrie libre : que chacun arbore sur soi, à sa fenêtre, devant sa mairie ou sur son lieu de travail, un tissu blanc portant le mot "Stop" (à la barbarie en Syrie) et en fasse une image, témoignage qui, de proche en proche, ira grossir une vague de protestation planétaire. L'action débute à 19h précises à Paris et dans les autres villes de France, en hommage aux manifestations qui se poursuivent en Syrie. Il s'agit qu'elle se propage ensuite à l'échelle mondiale sur la toile, les ondes et les écrans de télévision. Il dépend de chacun d'entre nous que le peuple syrien ne se sente plus isolé, qu'il sache son courage admiré et ses espoirs partagés.

Par Emmanuel Wallon, professeur de sociologie politique à l'Université Paris Ouest Nanterre et membre du Comité d'organisation de "Une vague blanche pour la Syrie".

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