Unesco : la honte d'un naufrage annoncé

Qui a déclaré en avril 2001 : "Israël n'a jamais contribué à la civilisation à quelque époque que ce soit car il n'a jamais fait que s'approprier le bien des autres" - et a réitéré deux mois plus tard : "La culture israélienne est une culture inhumaine ; c'est une culture agressive, raciste, prétentieuse, qui se base sur un principe tout simple : voler ce qui ne lui appartient pas pour prétendre ensuite se l'approprier" ?

Qui a expliqué en 1997, et l'a répété ensuite sur tous les tons, qu'il était "l'ennemi acharné" de toute tentative de normalisation des rapports de son pays avec Israël ? Ou encore, en 2008, qui a répondu à un député du Parlement égyptien qui s'alarmait que des livres israéliens puissent être introduits à la bibliothèque d'Alexandrie : "Brûlons ces livres ; s'il s'en trouve, je les brûlerai moi-même devant vous" ?

Qui, en 2001, dans le journal Ruz Al-Yusuf, a dit qu'Israël était "aidé", dans ses sombres menées, par "l'infiltration des juifs dans les médias internationaux" et par leur habileté diabolique à "répandre des mensonges" ? A qui devons-nous ces déclarations insensées, ce florilège de la haine, de la bêtise et du conspirationnisme le plus échevelé ?

A Farouk Hosni, ministre de la culture égyptien depuis plus de quinze ans et, à coup sûr, le prochain directeur général de l'Unesco si rien n'est fait avant le 30 mai, date de clôture des candidatures, pour arrêter sa marche irrésistible vers l'un des postes de responsabilité culturelle les plus importants de la planète.

Pire : les phrases que nous venons de citer ne sont que quelques-unes - et pas les plus nauséabondes - des innombrables déclarations de même teneur qui jalonnent la carrière de Farouk Hosni depuis une quinzaine d'années, et qui, par conséquent, le précèdent lorsqu'il prétend à un rôle culturel fédérateur à l'échelle du monde contemporain.

L'évidence est donc là : Farouk Hosni n'est pas digne de ce rôle ; Farouk Hosni est le contraire d'un homme de paix, de dialogue et de culture ; Farouk Hosni est un homme dangereux, un incendiaire des coeurs et des esprits ; il ne reste que très peu de temps pour éviter de commettre la faute majeure que serait l'élévation de Farouk Hosni à ce poste éminent entre tous.

Nous appelons donc la communauté internationale à s'épargner la honte que serait la désignation, déjà donnée pour quasiment acquise par l'intéressé lui-même, de Farouk Hosni au poste de directeur général de l'Unesco. Nous invitons tous les pays épris de liberté et de culture à prendre les initiatives qui s'imposent afin de conjurer cette menace et d'éviter à l'Unesco le naufrage que constituerait cette nomination.

Nous invitons le président égyptien lui-même, en souvenir de son compatriote Naguib Mahfouz, Prix Nobel de littérature, qui doit, à l'heure qu'il est, se retourner dans sa tombe, nous l'invitons, pour l'honneur de son pays et de la haute civilisation dont il est l'héritier, à prendre conscience de la situation, à désavouer de toute urgence son ministre et à retirer, en tout cas, sa candidature.

L'Unesco a, certes, commis d'autres fautes dans le passé - mais cette forfaiture-ci serait si énorme, si odieuse, si incompréhensible, ce serait une provocation si manifeste et si manifestement contraire aux idéaux proclamés de l'Organisation qu'elle ne s'en relèverait pas. Il n'y a pas une minute à perdre pour empêcher que soit commis l'irréparable.

Il faut, sans délai, en appeler à la conscience de chacun pour éviter que l'Unesco ne tombe aux mains d'un homme qui, lorsqu'il entend le mot culture, répond par l'autodafé.

Bernard-Henri Lévy, philosophe, Claude Lanzmann, cinéaste et directeur de la revue Les Temps modernes, y Elie Wiesel, écrivain et Prix Nobel de la paix en 1986.