Vatican II, cinquante ans après

2012 marque les 50 ans des débuts du Concile Vatican II. Etalé sur quatre années, entre le 11 octobre 1962 et le 8 décembre 1965, ce rassemblement de l’ensemble des évêques catholiques constitue «un événement qui demeure durablement inscrit dans l’histoire de l’humanité, un pèlerinage aux sources, à la jonction entre le mystère du Christ, de l’Eglise et du monde», rappelait le 7 mars dernier Mgr Claude Dagens, à l’occasion d’un colloque organisé par la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg.

Car le dernier concile ne s’est pas d’abord penché sur des questions de structures: il a réfléchi à la vocation fondamentale de l’Eglise au service du monde: «Elle se sait envoyée pour ouvrir les chemins de la rencontre entre Dieu et les hommes», a ajouté l’évêque d’Angoulême. A Vatican II, «l’Eglise s’est faite conversation», pour reprendre la belle expression de Paul VI. Elle s’est engagée de manière irrévocable dans le dialogue avec les chrétiens des autres confessions, les croyants des autres traditions religieuses et les non-croyants.

Que de différences entre l’ambiance de 1962 et celle d’aujourd’hui! A l’époque, beaucoup pensaient maîtriser l’avenir et savoir où s’orienterait le vent: vers l’extension de la démocratie, le progrès scientifique, le bien-être économique. Cinquante ans plus tard, la planète est désenchantée, la crise financière a passé par là, plus personne ne maîtrise plus rien. Comment dès lors relire les documents de Vatican II, nés dans une période d’euphorie, alors que nous nous situons en ce début du troisième millénaire dans un océan d’inquiétude? Que reste-t-il à mettre en œuvre de textes qui, à voir l’état de l’Eglise, semblent ne pas avoir porté les résultats escomptés?

Face à ce Jubilé, il y a ceux qui ont vécu le concile en direct et qui continuent d’en faire le point de repère décisif pour leur vie de foi. Puis il y a les jeunes catholiques engagés dans leurs communautés, étudiantes et étudiants en théologie, pour qui le dernier concile n’est qu’un point de référence lointain. Certains le contemplent avec admiration; d’autres aussi regardent avec un sourire amusé leurs aînés, les «vieux combattants» de Vatican II, en les traitant parfois de «postsoixante-huitards ecclésiaux attardés».

Il y a ceux qui ont tellement attendu de Vatican II et du Synode suisse de 1972, dans les registres de l’importance donnée à chaque Eglise locale, au sein de la catholicité, par rapport à un certain centralisme romain; ou dans celui de l’exercice effectif de la synodalité, pour la manière de conduire l’Eglise, avec les différents conseils, les synodes et les démarches diocésaines; ou encore dans celui de l’avancée du dialogue œcuménique et interreligieux, qu’ils ont pu être déçus, avec l’impression que peu de choses ont véritablement bougé en direction d’une réelle décentralisation, d’une pratique correcte de la synodalité et de l’œcuménisme doctrinal. Et il y a ceux, pas nécessairement des jeunes, pour qui Vatican II est allé trop loin, a introduit un flou dommageable au sein de l’orthodoxie doctrinale, et selon qui il est donc nécessaire d’opérer un recentrement identitaire.

Il y a ceux qui insistent plus sur les nouveautés qu’a apportées Vatican II par rapport à une certaine conception pyramidale de l’Eglise issue du Concile de Trente (XVIe siècle). Et d’autres qui soulignent à juste titre que la notion d’Eglise communion, Peuple de Dieu, et la reconnaissance du sacerdoce commun de tous les fidèles se placent dans la continuité de la grande Tradition de l’Eglise. Herméneutiques de la rupture et/ou de la continuité?

Nous nous trouvons dans une situation «paradoxale»: jamais l’Eglise catholique n’a autant désiré dialoguer avec la société, à travers notamment la constitution Gaudium et Spes sur l’Eglise dans le monde d’aujourd’hui. Et pourtant jamais elle n’a semblé aussi peu présente dans l’univers contemporain, au point que certains sociologues parlent d’une véritable «exculturation» du christianisme. L’Eglise cherche partout «l’inculturation», et elle est littéralement «exculturée».

Faut-il pour autant envisager un Concile Vatican III? Outre les difficultés concrètes qu’il représenterait – comment communiquer entre près de 5000 évêques? –, la convocation d’une nouvelle assemblée du collège épiscopal paraît prématurée. Il reste à réaliser un travail considérable d’initiation aux documents conciliaires, y compris chez l’ancienne génération.

«Nous avons l’impression que les textes de Vatican II ont été écrits hier, tellement ils sont actuels», me confiaient certains jeunes participants à la journée d’étude. Le cinquantième anniversaire constitue une occasion propice pour dépasser les clivages de générations et relire ensemble les déclarations du concile. Il offre la possibilité de revenir aux intuitions de base qui ont nourri l’expérience conciliaire: l’ouverture du Christ à toutes les nations, la proposition de la foi comme un chemin de bonheur, l’invitation lancée à chaque personne d’établir un lien intime avec Dieu, d’où découle l’engagement pour la justice et la paix, la prise de conscience concrète de l’universalité de l’Eglise. Avant de monter à l’échelon global, il vaut la peine de développer des pratiques synodales de réflexion en commun au niveau local, suggérait un autre des intervenants du symposium, le professeur de l’Université de Laval (Québec), Gilles Routhier.

L’Eglise catholique est ainsi conviée à entrer résolument dans une nouvelle phase de réception de Vatican II, à discerner les signes des temps d’aujourd’hui pour inscrire l’Evangile dans la culture contemporaine. C’est à ce prix que la «nouvelle évangélisation», tant souhaitée par Jean Paul II, et «l’année de la foi» désirée par Benoît XVI dès le 11 octobre prochain, pourront répondre à la soif spirituelle des femmes et des hommes d’aujourd’hui.

Par l’abbé François-Xavier Amherdt.

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