Vers l’explosion du système politique grec?

Après le vote, par le parlement grec, du nouveau programme d’une austérité draconienne le 12 février, les instances européennes et le FMI vont débloquer un nouveau prêt pour financer les dépenses courantes du pays. Est-ce que cela signifie que la crise grecque prendra fin? En apparence, tout va pour le mieux, étant donné que la faillite immédiate semble s’éloigner. Certes, quelques rues commerçantes ont souffert au centre d’Athènes et quelques bâtiments historiques ont brûlé. Mais le «courage» des députés grecs à approuver ce nouveau pacte avec les créanciers du pays ne valait-il pas quelques feux d’artifice? Toutefois, à regarder de plus près, la situation est bien plus complexe et bien plus catastrophique qu’elle ne le paraît. En effet, la profonde crise économique est devenue une crise sociale durable, à présent couplée d’une crise politique inédite.

Tout d’abord, la situation économique est particulièrement alarmante: à part les déficits chroniques et la dette publique colossale, pour la cinquième année consécutive la Grèce est en récession (–7% pour l’année 2011). Le chômage vient de dépasser le seuil de 20% et un jeune sur deux n’a pas d’emploi. En second lieu, le pays est frappé d’une grave crise sociale: la pauvreté concerne le tiers des habitants, l’Etat social ne garantit plus les besoins de la population et le système public de santé (déjà fragile) risque de s’effondrer. Enfin, la dernière crise qui secoue la Grèce est bien politique: malgré le vote des nouvelles mesures par deux tiers des parlementaires hellènes, le système politique et partisan grec vient d’entrer dans une phase d’extrême incertitude.

Examinons la crise politique. Il convient de souligner l’importance des forces centrifuges qui s’exercent sur les deux grands partis politiques, les socialistes du Pasok et les conservateurs de la Nouvelle Démocratie (ND). En effet, plus de 20 députés pour chacun de ces partis n’ont pas voté les nouvelles mesures d’austérité négociées avec la troïka. Exclus immédiatement de leurs partis, ils ont rejoint d’autres forces «rebelles» créées lors des votes antérieurs. Le «parti» de tous les exclus (un cinquième du parlement) est numériquement aussi fort que la ND!

Ainsi, le bipartisme imparfait (pour le dire selon la terminologie des politologues), qui constituait la base du système des partis grecs depuis le retour à la démocratie (1974), vient de se transformer en multipartisme. Bien évidemment, il convient d’attendre le prochain scrutin, prévu ce printemps, pour voir si cette tendance centrifuge se confirme. Mais il est d’ores et déjà clair que la discipline partisane n’est plus la règle. Les crises financière, économique et sociale ont eu raison, du moins partiellement, du système politique et du bipartisme.

La politique grecque se trouve ainsi sur des sables mouvants, ce qui peut avoir des conséquences graves pour les Européens et les créanciers de la Grèce: l’avenir du système politique grec étant incertain, plus personne ne pourra garantir la stabilité politique et encore moins l’exécution des mesures décidées. Que vaudra la signature des deux partis dominants actuels si, demain, ils n’ont pas le même poids ou s’ils sont obligés de faire des alliances avec des formations plus petites? A force de presser de manière continue la population et la classe politique grecques, les autorités européennes et le couple franco-allemand risquent de recueillir ce qu’ils ont semé: l’explosion du système politique grec pourrait encore attiser davantage l’incendie de la zone euro.

Un autre aspect de la crise politique grecque qui devra retenir l’attention, c’est l’attitude des Hellènes lors des prochaines élections. Tout d’abord il faudra étudier le taux d’abstention: est-ce que la rage sociale deviendra de la résignation? Est-ce que la fréquence des manifestations sera transformée en une participation électorale massive? Puis, il faudra observer si le multipartisme se confirme; si oui, avec quelle conséquence: exaspération des conflits ou gouvernement de consensus? Sur ce point, la culture politique grecque ne nous a guère habitués aux consentements. Il convient également d’examiner jusqu’à quel point la radicalité de la société se reflétera sur la classe politique qui sortira des urnes. Le bloc UE-FMI sera-t-il perçu comme un sauveur ou comme une nouvelle dictature?

Dans tous les cas, les responsables politiques grecs et les maîtres européens doivent rester extrêmement attentifs aux souffrances d’un peuple. Car, quand il n’y aura plus rien à espérer auprès des «rédempteurs», les murmures de l’histoire vont devenir des cris; en paraphrasant des slogans venus d’autres horizons, les citoyens pourraient clamer devant Papandréou ou Papadémos, Merkel ou Barroso: «Tocqueville, réveille-toi; ils sont devenus fous!»

Par Maximos Aligisakis.

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