Vers un apartheid dans les Territoires palestiniens mais aussi en Israël

A Jéricho, en Cisjordanie, en 2012. La clé symbolise le droit au retour des Palestiniens. Photo Valentine Vermeil
A Jéricho, en Cisjordanie, en 2012. La clé symbolise le droit au retour des Palestiniens. Photo Valentine Vermeil

Quelle est, à mes yeux, la motivation de la récente loi de l’Etat-nation mettant l’accent sur le caractère juif de l’Etat d’Israël et instaurant l’hébreu comme langue officielle unique, tout en confirmant de nouveau la singularité et l’exclusivité des localités juives déjà établies et à construire ? Pourquoi fallait-il provoquer la colère du camp progressiste qui persiste en Israël, non seulement parmi les membres de l’opposition au Parlement qui se sont élevés énergiquement contre cette nouvelle loi bizarre, mais aussi celle de nombreux universitaires qui la considèrent comme une loi nationaliste menant Israël à un apartheid flagrant, non seulement dans les Territoires palestiniens de Cisjordanie mais au sein même d’Israël ? Jusqu’au président de l’Etat, Reuven Rivlin, militant du Likoud pendant de nombreuses années, qui s’est opposé publiquement au Premier ministre, Benyamin Nétanyahou, et à ses ministres en demandant de surseoir à cette législation ou, du moins, de l’amender de manière significative.

Une protestation puissante s’est élevée dans la communauté druze d’Israël, communauté liée par toutes ses fibres à l’identité israélienne, dont les fils servent à l’armée dans les meilleures unités d’élite et de combat, avec des députés au Parlement qui, comble d’ironie, siègent plutôt à droite… Les Druzes parlent l’arabe, qui, par cette loi de l’Etat-nation, voit son statut de langue officielle à côté de l’hébreu, réduit à une position marginale, ni claire, ni définie. Tout cela en sus de la protestation juste et compréhensible de la minorité palestinienne-israélienne contre une loi dans laquelle les mots «démocratie» et «égalité» ne figurent pas, alors qu’ils sont présents dans la déclaration d’indépendance de 1948, où il est écrit que les citoyens non juifs de l’Etat d’Israël jouiront de l’égalité et des droits sociaux à l’instar des citoyens juifs.

De même, les juifs dans le monde, qui ne sont pas citoyens israéliens, ne comprennent pas comment exactement on les inclut de manière globale dans la nation juive. Est-ce qu’un juge juif à la Cour suprême des Etats-Unis, dont le rôle est d’interpréter la Constitution américaine, est, lui aussi, un membre de la nation juive, et en quel sens cette nationalité s’harmonise-t-elle avec sa citoyenneté américaine ? S’agit-il d’une convergence ou d’une contradiction ? Et si ce juif considère sa judéité uniquement comme une composante culturelle ou religieuse de son identité américaine, Benyamin Nétanyahou est-il autorisé à lui imposer une nationalité dont il ne veut pas, dans un rapport manifeste avec l’Etat d’Israël ?

Certes, par essence, cette loi n’est que déclarative, mais superflue et cruellement attentatoire à l’identité israélienne, l’identité fondamentale des citoyens d’Israël. Après tout, le nom du territoire est Terre d’Israël, le nom de l’Etat, Israël, la carte d’identité est israélienne et non juive, quelle signification et quel besoin d’introduire ainsi la nation juive éligible à son propre Etat ? Car ce sont des évidences déjà établies par la décision des Nations unies en 1947, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pendant laquelle un tiers du peuple juif a été exterminé.

Si nous essayons de trouver la motivation profonde à cette initiative provocatrice et inutile, il me semble qu’il faut repérer ses causes, non dans le passé, mais dans l’avenir. En d’autres termes, dans le débat sur l’avenir de la Cisjordanie, où vivent près de deux millions et demi de Palestiniens, dont le statut est celui de citoyens sous occupation militaire jusqu’à ce que soit trouvée la solution espérée de deux Etats pour deux peuples. Et celle-ci, plus le temps passe, plus elle devient impraticable, surtout à cause des quelque 400 000 Israéliens peuplant les colonies en Cisjordanie qu’il est désormais inenvisageable de déplacer, sinon par une guerre civile sanglante.

Le camp de la paix ne cesse d’accuser la droite de poursuivre l’entreprise de colonisation et le gel délibéré du processus de paix, lesquels portent une atteinte irrémédiable à l’identité juive de l’Etat d’Israël où vivront un jour près de 40 % de Palestiniens contre 60 % de juifs. C’est pourquoi, afin de se défendre contre ce raisonnement, accepté théoriquement sinon politiquement par la majorité du peuple, le gouvernement de Nétanyahou s’efforce de se protéger par le vote expéditif et irresponsable d’une loi nationaliste définissant l’Etat d’Israël comme un Etat juif, perturbant ainsi les droits démocratiques des minorités non juives, et cela, avec la conviction que le pouvoir de ces mots modifie les réalités sur le terrain. Car, que nous le voulions ou non, l’Etat d’Israël glisse doucement vers la binationalité, avec 60 % de citoyens juifs et 40 % de Palestiniens, dont deux millions détiennent la citoyenneté israélienne et deux millions et demi de Palestiniens privés de citoyenneté en Cisjordanie. Ces Palestiniens, tôt ou tard, exigeront des droits civiques, et il sera impossible de leur refuser, malgré cette loi de l’Etat-nation dont les mots vides planeront au-dessus de leurs têtes.

Avraham B. Yehoshua, ecrivain. Auteur de Rétrospective, (Grasset, 2012, prix Médicis étranger, prix du Meilleur livre étranger) et de la Figurante (Grasset, 2016). Traduit de l’hébreu par Jean-Luc Allouche.

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