Vers un islam officiel… certifié républicain ?

En recevant le mercredi 18 novembre les principaux responsables du Conseil français du culte musulman à l’Elysée, Emmanuel Macron entendait leur signifier que la gouvernance de l’islam en France devait désormais entrer dans une nouvelle phase de son existence, celle de la création, rendue selon lui inéluctable après les récents attentats islamistes de Conflans et de Nice, d’un islam certifié conforme aux valeurs et aux principes républicains. La première étape serait la création d’un Conseil national des imams, et ensuite une politique visant à accréditer dorénavant des imams certifiés républicains, ayant dûment signé une charte d’adhésion aux valeurs de la République pour avoir le droit de prêcher publiquement dans les mosquées de l’Hexagone, sans oublier d’exiger de la part de certaines fédérations islamiques (Musulmans de France et Millî Görüş) des clarifications sur leur degré de républicanisme.

Nous sommes là dans un schéma digne du gallicanisme politique d’Ancien Régime, qui avait jadis conduit les rois de France, bien que catholiques, à conserver l’Eglise sous leur contrôle étroit (nomination des évêques et des abbés), confinant Rome aux confirmations canoniques requises. Tout comme ensuite les révolutionnaires ont mis sur pied en 1790 la constitution civile du clergé avec obligation pour les clercs (prêtres et évêques) de prêter serment de fidélité à la Nation, à la loi et accessoirement au roi… consacrant l’avènement d’une Eglise catholique de France séparée de facto du siège romain. On pourrait encore invoquer les mânes de Bonaparte et de sa politique (concordat de 1801 et articles organiques de 1802) visant à rétablir la liberté religieuse en France au sortir de la Révolution, et qui devait bénéficier d’abord aux cultes catholique (religion de la majorité des Français) et protestant, et plus tardivement au culte juif. Mais ces cultes, qui pouvaient compter sur les deniers publics de l’Etat, étaient en retour astreints à un régime de surveillance, et devaient par leurs prières et leurs exhortations soutenir la politique du pouvoir, selon la règle du donnant-donnant : la liberté de culte et le financement public contre le soutien indéfectible à l’Etat et la moralisation de la société.

Or, ce qui était possible, et compréhensible, dans le cadre d’un Etat doté d’une religion officielle (royauté), ou réservant à quelques cultes le soutien financier de l’Etat (Consulat et Empire), ne l’est plus depuis que la République s’est dotée en 1905 d’une loi portant séparation des cultes et de l’Etat. Elle proclame haut et fort son attachement à la laïcité qui repose à la fois sur la neutralité religieuse de l’Etat, la liberté de conscience et le libre exercice des cultes, sans oublier l’incompétence des cultes dans l’administration de la cité et réciproquement, de l’Etat dans l’organisation interne desdits cultes.

Certes, nul n’ignore qu’en ce qui concerne l’islam, le volontarisme de l’Etat est une tradition qui a connu son apogée durant la période coloniale notamment en Algérie (classification des édifices du culte, nomination et rémunération des imams, surveillance des prises de parole…).

Mais admettons qu’elle n’était pas toujours malvenue, et que si l’Etat n’était pas intervenu hier pour inciter les principales fédérations musulmanes de France à se mettre autour de la table, jamais le CFCM (et d’autres organismes avant lui) n’aurait vu le jour.

De même qu’il est totalement légitime que les pouvoirs publics garantissent la liberté de conscience et le libre exercice des cultes dans le respect de l’ordre public, qu’ils veillent notamment à ce que dans les lieux de culte aucune incitation à la haine, diffamation d’un citoyen chargé d’un service public, appel à armer une partie des citoyens contre les autres, comme au renversement des institutions républicaines ne soient de mise, et qu’ils nomment des aumôniers dans les services publics (hôpitaux, armées, prisons), pour autant, le brutal regain de volontarisme étatique d’aujourd’hui envers le culte musulman s’apparente fortement à une tentative, anachronique, pour un gouvernement laïque, de mettre sur pied un islam officiel et le «clergé» labellisé «républicain» qui va avec.

L’Etat en France, bien que toujours laïque, n’aurait alors plus rien à envier à bien des Etats confessionnels musulmans, qui eux aussi se sont dotés d’islams officiels relayés dans les mosquées par des imams (payés accessoirement par l’Etat !) certifiés et formés par des institutions publiques et dont les prônes rendent hommage et font allégeance aux princes du pays. Si, en 1905, l’Etat s’est définitivement libéré de l’hypothèque du gouvernement par la religion, il semble bien qu’en 2020, il n’ait toujours pas renoncé, lui, à gouverner la religion, et l’islam en particulier.

Franck Fregosi, irecteur de recherche au CNRS (Groupe Sociétés, religions et laïcités), enseignant à Sciences-Po Aix.

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