Vive la déflation !

Se féliciter de la déflation dans le climat politique actuel peut paraître une provocation, alors qu’on entend dire de tous côtés que l’Europe est menacée par la déflation et que la Banque centrale européenne doit agir pour l’éviter… En fait, l’éloge de la déflation correspond à une vision correcte – et même incontournable – du rôle de la monnaie au point qu’on devrait considérer comme logiquement impossible de déplorer la déflation.

La monnaie peut en effet être définie comme un pouvoir d’achat généralisé, c’est-à-dire qu’elle est échangeable contre n’importe quoi, auprès de n’importe qui, à n’importe quel moment (de ce dernier point de vue, on peut dire qu’elle est un pouvoir d’achat « en attente »). On considère normalement qu’un bien est de bonne qualité s’il rend au mieux les services qu’on attend de lui.

Ceci est évidemment applicable à la monnaie : elle est d’autant meilleure qu’elle remplit mieux son rôle de réserve de pouvoir d’achat. Or l’inflation – définie en général comme la hausse du prix des biens en termes de monnaie – peut et doit être plutôt définie comme la baisse du prix de la monnaie en termes de biens et services, c’est-à-dire comme une situation où la monnaie perd une partie de son pouvoir d’achat.

Glissement sémantique

De ce point de vue, l’inflation est très nuisible, puisqu’elle porte atteinte à la qualité de l’un des biens les plus indispensables. Par ailleurs, la déflation – c’est-à-dire la baisse du prix des biens et services en termes de monnaie – représente une augmentation du pouvoir d’achat de la monnaie, c’est-à-dire qu’elle améliore la qualité des services rendus par la monnaie. Elle est donc incontestablement désirable.

Comment, alors, expliquer que l’on craigne de manière presque unanime la déflation ? Il y a d’abord le fait, purement superficiel, qu’il y a dans l’esprit de beaucoup de gens un glissement sémantique du terme « déflation » au terme « dépression ». On évoque souvent l’exemple de la Grande Dépression des années 1930, au cours de laquelle il y a eu à la fois déflation et dépression. Ceci s’explique par le fait qu’il y a eu brutalement une politique monétaire extrêmement restrictive qui a conduit à une chute des prix inattendue (jusqu’à 40 % environ pour les prix de gros aux Etats-Unis).

Or, les entrepreneurs ne pouvant pas ajuster immédiatement les salaires nominaux à leurs prix de vente, ils ont enregistré de fortes pertes et certains d’entre eux ont fait faillite, ce qui a provoqué du sous-emploi. Ce qui est en cause, c’est le fait que cette forte déflation n’ait pas été prévisible lors de la signature des contrats de salaires ou de prêts. Mais une déflation prévisible, parce qu’elle se répète de manière régulière, ne peut avoir que des avantages. Ainsi, un salarié dont le salaire nominal est constant voit augmenter le pouvoir d’achat de son salaire et celui de ses encaisses monétaires.

Relativisme moral

Les arguments avancés en faveur d’une politique monétaire (modérément) inflationniste sont nombreux. Certains n’hésitent pas à souligner qu’une inflation plus forte soulagerait la charge de la dette publique ! Or cela signifie en réalité que les Etats pratiqueraient une sorte de vol à l’égard des prêteurs qui leur avaient fait confiance et que, pour ce faire, on imposerait en outre à tous les citoyens une perte sur la valeur réelle de leurs encaisses monétaires ! Malheureusement, le relativisme moral de notre époque conduit à légitimer le vol lorsqu’il est pratiqué par les Etats.

Plus généralement les opinions favorables à l’inflation reposent sur l’idée – vague, mais fausse – qu’il faut fournir des liquidités à l’économie. En réalité, ceux qui défendent de telles idées pensent probablement, et implicitement, au fait que la création de monnaie, source de l’inflation, implique simultanément, par un simple jeu d’écritures comptables, la distribution de crédits censés stimuler les dépenses, et en particulier l’investissement.

Il est paradoxal que ces idées soient généralement exprimées par des personnes fidèles aux messages keynésiens, alors que la théorie keynésienne repose sur l’hypothèse qu’il existe un excès d’épargne par rapport à l’investissement, ce qui devrait évidemment conduire à la conclusion qu’il est non seulement inutile, mais même nuisible, de développer ainsi le crédit.

Mais il faut surtout voir que cette distribution de crédits est totalement artificielle, qu’elle ne correspond à aucune épargne véritable et volontaire, c’est-à-dire à aucune abstention de consommation. Elle est donc créatrice d’illusions dangereuses. En réalité, elle est à l’origine de l’instabilité monétaire et financière, comme l’a bien expliqué ce qu’on appelle « la théorie autrichienne des cycles économiques », développée par Ludwig von Mises (1881-1973) et Friedrich Hayek (1899-1992), et comme l’a parfaitement illustré la dernière crise.

Le monde idéal

Afin que le financement de la croissance économique se fasse dans des conditions satisfaisantes, il conviendrait de recourir à une véritable épargne volontaire. Cela impliquerait, en particulier, de supprimer la surtaxation de l’épargne et du capital, et de développer la retraite par capitalisation.

En résumé, le monde idéal serait un monde où il n’y aurait absolument pas de création monétaire et de politique monétaire, et où l’on aurait supprimé tous les obstacles réglementaires et fiscaux qui détruisent les incitations des individus à épargner. Il n’est pas nécessaire de créer de la monnaie, car ceux qui détiennent de la monnaie désirent une monnaie qui maintient le pouvoir d’achat.

Imaginons que la masse monétaire soit absolument constante. Du fait des progrès de la productivité, les prix des biens baisseraient et la valeur réelle des encaisses monétaires augmenterait, satisfaisant ainsi au mieux les besoins monétaires des individus.

Par ailleurs, une épargne volontaire et abondante permettrait de financer une croissance économique forte, évitant ainsi que l’on soit incité à recourir à une distribution illusoire de crédits d’origine monétaire. Tel est le monde vers lequel nous devrions nous diriger, plutôt que de dénoncer les maux imaginaires de la déflation.

Pascal Salin, professeur honoraire à l'Université Paris-Dauphine.

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