Vive l’humour sacrilège!

Ça fait 20 ans que, chaque semaine, je lis Charlie Hebdo. Et l’humour de Charlie, qui ne faisait pas de quartier, était un bol d’air hebdomadaire, un antidote à la bêtise sectaire, un remède contre l’obscurantisme et le repli sur soi. Charlie ouvrait toutes les fenêtres, et tant pis si un courant d’air pétait une vitre dans un claquement.

Charlie a connu bien des affrontements avec les culs-bénits de toutes les paroisses. D’abord les fondamentalistes chrétiens, qui tentèrent de ruiner le journal à grands renforts de procès intentés pour blasphème, atteinte à l’honneur et j’en passe. Dénonçant la politique coloniale israélienne, il eut aussi droit aux foudres du CRIF ou de la Cicad, puis ce fut au tour de l’UOIF de s’essayer au procès suite à la publi­cation solidaire des caricatures danoises représentant notamment Mahomet. Charlie n’avait pas pour habitude de se laisser faire et continua, comme il l’avait toujours fait, à dénoncer et à se moquer des intégristes, quelles que soient leurs sectes.

Une étape supérieure fut franchie avec l’incendie criminel de ses locaux suite au numéro intitulé «Charia Hebdo», avec Mahomet en réd’chef. Certaines voix à gauche s’élevèrent contre l’hebdomadaire satirique, l’accusant de servir la soupe au FN en stigmatisant les musulmans. J’ai eu quelques violentes prises de bec à ce sujet, estimant que Charlie avait raison de tourner les intégristes en bourrique et que son propos visait toujours les fondamentalistes et jamais l’ensemble d’une communauté, comme lorsqu’il faisait dire ceci à Mahomet à propos des intégristes: «C’est dur d’être aimé par des cons.»

Voilà que, mercredi, des individus armés ont ouvert le feu dans la rédaction, faisant 12 morts dont Charb, Wolinski, Cabu et Tignous… C’est juste irréel, incroyable, ça donne envie de pleurer de rage alors que Charlie m’a tant de fois fait pleurer de rire.

Que faire? On le sait bien, certains vautours se précipiteront pour se faire reluire, se feront passer pour les chantres de la liberté d’expression qu’ils ne sont pas.

Ce qui s’est passé est la triste suite logique de la régression de la liberté d’expression à laquelle nous assistons depuis un moment déjà. Que ce soit par esprit politiquement correct ou par pudibondieuserie, on en est arrivé à un stade où détruire ce avec quoi on est en désaccord est devenu une alternative valable. Du Piss Christ de Serrano vandalisé aux manifs des extrémistes cathos de Civitas empêchant des pièces de se jouer, en passant par le saccage d’une œuvre de McCarthy ou le musellement de Dieudonné, ces événements ouvrent la voie à la tragédie de ce jour, qui va un cran plus loin, bien plus loin, dans la bêtise.

Ce qu’il convient de faire, à mon sens, c’est d’affirmer haut et fort que jamais on ne fera taire les esprits libres, qu’aucun obscurantisme, de quelque chapelle qu’il soit, ne parviendra à nous empêcher de blasphémer, de moquer les intégristes de tout poil et de tourner leur extrémisme forcené en dérision. Que cette distance de l’humour sacrilège est salutaire, marquant clairement la frontière entre une poignée d’agités du collier à prière et la majorité de tous ceux qui acceptent que l’on rie de leurs croyances comme de celles des autres. Continuer à se marrer de la bêtise, fût-elle d’inspiration divine, pour qu’un sourire au coin des lèvres vienne cueillir la larme amère de ce jour.

Merci pour tous ces moments, Charb, Cabu, Wolinski, Tignous et tous les autres! Passez mon bonjour à Cavanna. Riez en paix.

Matthieu Béguelin

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