Washington : un coup d’Etat populiste

 Des partisans de Trump lors d'un rassemblement de soutien devant la Maison Blanche, mercredi à Washington. Photo John Minchillo. AP
Des partisans de Trump lors d'un rassemblement de soutien devant la Maison Blanche, mercredi à Washington. Photo John Minchillo. AP

Nous avons assisté mercredi à Washington à la première tentative de coup d’Etat populiste de l’histoire, du moins de l’histoire des Etats-Unis. Quand un leader politique, en l’occurrence le président des Etats-Unis d’Amérique, appelle plus ou moins ouvertement ses partisans à s’opposer à un vote démocratique, quand ce même leader dénonce une manipulation des élites politiques destinée à le chasser du pouvoir, quand ses militants contestent par la force et la violence un processus démocratique en cours, quand des émeutiers envahissent un Congrès de députés et sénateurs démocratiquement élus, il n’y a pas d’autre façon de qualifier les événements survenus à Washington mercredi.

La stratégie de Donald Trump pour se maintenir à la Maison Blanche s’est décomposée en trois étapes. La première, avant même l’élection présidentielle : confronté à des sondages défavorables, Trump dénonçait dès le mois d’octobre les risques de fraudes électorales et appelait ses partisans à être vigilants, jetant ainsi le doute sur le futur verdict des urnes et l’opprobre sur ses adversaires à l’origine d’un soi-disant complot pour l’écarter du pouvoir, lui le vrai représentant du peuple. Avant même le vote démocratique, le président populiste américain jouait ainsi sur les peurs des électeurs et annonçait la conspiration à venir.

Au lendemain du scrutin, le désormais futur ex-président américain refusait de reconnaître les résultats et demandait que tous les votes soient pris en compte – sous-entendant que la manipulation était en cours –, puis multipliait les démarches judiciaires pour sinon empêcher, du moins freiner la validation de l’élection de Joe Biden au Congrès. La troisième étape est donc celle du recours au pouvoir de la rue et à la déstabilisation politique par la force pour tenter d’inverser l’issue du vote… avant que Donald Trump en appelle finalement au calme tout en répétant que l’élection lui a été volée.

De la fragilité des systèmes démocratiques

Le représentant républicain Mike Gallagher décrivait les événements survenus au Capitole mercredi comme relevant d’une «république bananière». La comparaison peut en effet paraître séduisante. De nombreux leaders populistes, notamment en Amérique latine, ont tenté d’influencer le cours de la démocratie et de se maintenir au pouvoir coûte que coûte en faisant appel au peuple, à la «peuplecratie» (Marc Lazar) contre les élites dans une veine populiste. «18 Brumaire», putsch de Munich, 11 septembre 1973 au Chili, «23-F» en Espagne : au cours de l’histoire contemporaine, les coups d’Etat n’ont pas manqué, illustrant la fragilité de nos systèmes démocratiques, l’influence de courants politiques extrémistes, les pronunciamientos militaires et un prétorianisme accru. La tentative de la centaine de personnes fanatisées et galvanisées par les discours de Trump pour prendre d’assaut le Capitole était assurément vouée à l’échec. Elle peut néanmoins être vue comme la manifestation d’un nouveau type de coup d’Etat : le coup d’État populiste.

Rejet du verdict des urnes et de la classe politique traditionnelle, dénonciation des irrégularités du scrutin et d’un complot des médias et des élites, appel à l’insurrection du «vrai peuple» américain contre les élus, discours alimentant la confusion politique et les théories du complot sont autant de signes d’un populisme qui est désormais devenu une caractéristique essentielle de la vie politique dans nos démocraties contemporaines, certes bien imparfaites, confirmant ainsi l’idée que nous sommes entrés dans «le siècle du populisme», pour reprendre l’expression de Pierre Rosanvallon.

Dans un éditorial de la revue Parlement[s] en 2009, Jean Garrigues écrivait : «Dans nos démocraties tempérées, le coup d’Etat est presque passé de mode.» Douze ans plus tard, on mesure bien l’importance de l’adverbe «presque». Les événements de mercredi à Washington remettent au goût du jour le thème du coup d’Etat dans l’une des plus grandes démocraties, offrant ainsi au monde une image déplorable.

Mais il ne faut pas voir cet événement uniquement comme le produit des tares de la démocratie américaine. Le populisme n’est pas l’apanage des Etats-Unis, tant s’en faut. Il se présente sous des formes extrêmement variées. S’il a pris hier le visage de la contestation du suffrage démocratique, il peut aussi prendre celui de la haine et de la violence politique. Les démocraties européennes ont tout intérêt à tirer les enseignements de cette tentative de coup d’Etat populiste.

Matthieu Trouvé, maître de conférences en histoire contemporaine à Sciences Po Bordeaux, spécialiste d’histoire politique et d’histoire des relations internationales

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