"Welcome to Croatia !"

"Comment peut-on être Croate ?", aurait sans doute écrit Montesquieu en son temps. Comment accéder au statut, nécessairement enviable, de membre de la Communauté européenne ? Comment l'être et le faire en un temps aussi peu propice à un tel ralliement, à pareille "adhésion" ? De fait, il leur faut un singulier courage, à nos amis croates, pour faire abstraction de tout ce qui devrait les dissuader d'un geste supplémentaire vers les 27 : de ce saut qualitatif supposé les amener à devenir la 28ème roue du carrosse européen !

En effet, comment les avons-nous accueillis et que leur propose-t-on comme horizon radieux ? D'abord, l'accueil lui-même, dont la qualité exemplaire mérite d'être soulignée. On peut ainsi gager qu'aucun pays ne fut plus mal accueilli en général que celui-là au sein de la Communauté — alors même qu'il a satisfait à tous les critères et étapes d'un processus pour tout dire d'une longueur infinie, excessif et humiliant ! Certes, les salles du dernier sommet bruxellois brillaient de vidéos diffusées en continu des magnifiques paysages croates, entrecoupées du slogan fédérateur : "Welcome to Croatia !" Certes, l'on fit au Traité d'adhésion une petite place dans la tourmente générale. Enfin, chacun fit mine de se réjouir de cet élargissement si consensuel et si peu problématique…

Cependant, le président français ne daigna même pas se réveiller pour venir lui-même signer ledit Traité — seul de ses pairs à déléguer en l'occurrence un sous-Ministre à l'événement. Cependant, l'adhésion de la Croatie fut rejetée au dernier rang des préoccupations d'un "Sommet" tout entier tourné vers la crise de l'Union et la mise en cause des Traités européens eux-mêmes. Cependant, ce qui aurait dû être une véritable fête collective — pour toutes sortes de raisons — fut transformé en anecdote, sans dimension emblématique ni valorisation politique ou médiatique.

Ensuite, il faut souligner que l'on s'est surtout employé à ignorer une réalité aussi intéressante que gênante… Car la Croatie est un pays à la fois profondément europhile et francophile. La Croatie ne se contente pas d'abonder en paysages de carte postale : c'est un pays jeune, moderne, gorgé de talents (dont la classe sportive donne une bonne représentation de ce que l'on peut noter dans tous les secteurs d'activité), particulièrement raffiné sur les plans culturel et scientifique, authentiquement démocratique (les trois dernières "alternances" pacifiques en sont la preuve éclatante), qui a prouvé qu'il était capable de faire des efforts assez considérables pour surmonter sa crise propre sans attendre tout des autres… Mais qui lui en est reconnaissant, au sens strict ? Qui a véritablement reconnu ses efforts depuis près de deux décennies : pour devenir un pays tout à fait légitime au sein de l'UE et profondément imprégné de ses valeurs et objectifs ? Ils sont rares…

Enfin, aucune des justifications d'un si mauvais comportement européen ne tient la route… Car il y a ceux qui invoquent sans fin les "priorités de l'heure" et la gravité abyssale de "la crise", qui réclameraient de mobiliser toutes les forces sur l'extinction de l'incendie… Il y a ceux qui prétendent que la Croatie n'aurait pas à se plaindre du traitement subi lors de la procédure d'adhésion (certes, si l'étalon est supposé être la Turquie, le raisonnement est recevable !)… Il y a aussi ceux qui suggèrent perfidement que ce pays de moins de cinq millions d'habitants ne représente qu'une part marginale de la population et du PIB européens (mais en a-t-on jamais fait le grief à Luxembourg ou à Malte ?)...

Je dois dire que si j'étais Croate à l'heure présente, je serais particulièrement remonté contre les Européens de l'UE, c'est-à-dire (dans le cas d'espèce) contre leurs gouvernants, et que je serais tenté, devant tant de maladresse, d'impolitesse et de négligence : de les envoyer promener collectivement et de leur tirer ma révérence !...

Il n'est peut-être pourtant pas encore trop tard pour changer de cap, puisque, à la faveur d'une alternance politique toute récente qui n'a nullement mis en péril leur consensus national sur l'adhésion, les Croates ont manifesté à l'égard de ces Européens de l'UE qui les ont si mal traités depuis tant de mois : une indulgence et une grandeur d'âme qui les honore. Il incombe dès lors maintenant aux "27" de s'éloigner de leurs obsessions égocentriques pour commencer de faire ce qui n'a pas été encore fait à ce jour malgré les règles qui s'imposaient, à savoir : d'accueillir enfin, avec la dignité, le respect et la confiance indispensables, cette Croatie et ses citoyens qui méritent d'être pleinement conviés et associés aux affaires européennes.

Par François de Bernard, président du GERM, Groupe d'études et de recherches sur les mondialisations.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *