Xi Jinping, l’homme le plus puissant de la future première puissance mondiale ?

Le 19e congrès du Parti communiste chinois vient de se clore après avoir élevé la « pensée de Xi Jinping » au même rang que celle de Mao et promu une nouvelle direction bien plus alignée que la précédente sur les idées de leur chef suprême. Pour autant, Xi Jinping est-il l’homme le plus puissant de la future première puissance mondiale ?

Il est clair que depuis son accession au pouvoir en 2012, Xi est parvenu à concentrer entre ses mains d’immenses pouvoirs, tant en matière de politique étrangère et de sécurité, domaine habituellement réservé du secrétaire général du PC, que sur le plan intérieur y compris économique, secteur habituellement de la compétence de premier ministre.

Promu par Hu Jintao, le prédécesseur de Xi, Li Keqiang est donc un chef de gouvernement particulièrement faible qui, bien que maugréant de temps à autre, ne risque pas de faire de l’ombre au « cœur » de la direction chinoise, le nouveau surnom de Xi. Il a donc été reconduit dans ses fonctions.

Allégeance

Wang Yang, l’autre dirigeant proche de Hu élevé au Comité permanent du Bureau politique, aréopage qui rassemble les sept plus hauts responsables du PC, ne menacera pas Xi non plus : en charge de la Conférence consultative, une sorte de Sénat impuissant, il sera en charge des relations avec les non-communistes, notamment les entrepreneurs privés, Taïwan et Hongkong. Son image de réformiste pourra au contraire aider Xi dans ses projets.

Le reste de la direction suprême du Parti a clairement fait allégeance à Xi : Li Zhanshu, qui devrait prendre la présidence de l’Assemblée nationale populaire en mars prochain, est un proche ; il en est de même de Zhao Leji, le nouveau patron de la discipline au sein du Parti et donc de la lutte contre la corruption ; quant à l’universitaire Wang Huning, inspirateur du nouveau « rêve chinois », il a clairement fait allégeance à Xi ; et l’ancien secrétaire du Parti à Shanghaï, Han Zheng, aussi, car bien que devant sa carrière à l’autre « empereur retiré », Jiang Zemin, 91 ans, il a travaillé avec Xi dans la capitale économique chinoise, connaît l’homme et sait qu’il n’a d’autre choix s’il veut politiquement survivre.

Car derrière la campagne sans précédent contre la corruption lancée en 2013, se profile une lutte sans précédent pour le pouvoir. La plupart des hauts responsables purgés ces dernières années se sont officiellement révélés des comploteurs sans qu’aucune explication n’ait été donnée de leurs sombres desseins. Le dernier en date, Sun Zhengcai, le secrétaire du PC, bien sûr corrompu, de Chongqing d’où Xi l’a chassé pour y placer son dauphin, Chen Min’er.

Mais Chen est-il le « successeur désigné » de Xi ? L’on peut en douter. Xi n’a pas de successeur car il entend exercer le pouvoir à vie : comment la pensée de Xi, cette nouvelle idée de la gouvernance autoritaire, populiste et nationaliste à la chinoise, pourrait-elle survivre sans son auteur ? Xi a donc le temps, si Dieu lui prête vie, de lancer dans la course les meilleurs étalons et pouliches de l’Empire.

Allergique à la promotion des femmes

Surtout des étalons, car le système politique chinois reste diablement allergique à la promotion des femmes : une seule reste au Bureau politique (25 membres) contre deux auparavant et 10 siègent au Comité central (204 membres), comme en 2012. En Chine populaire, le politique reste une affaire d’hommes.

Mais que contrôle Xi ? L’appareil du Parti, certainement ; les entreprises et institutions d’Etat, assurément ; les provinces ? C’est plus discutable : celles où il a placé des poulains, comme le Jiangsu ou le Liaoning, probablement ; mais les autres ? Quand aux administrations de base, la tâche reste immense, en dépit de du caractère « contrôlocrate » de Xi, pour reprendre l’expression de Stein Ringen. La corruption y reste endémique, les situations de rente nombreuses, l’alliance incestueuse entre le pouvoir politique et l’argent trop étroite, systémique.

Et la société ? Xi entend contrôler plus car il y a beaucoup plus à contrôler. Or la société lui échappe de plus en plus. 80 % des 90 millions de membres du PC sont des cyniques ou des arrivistes ; Internet est corseté mais les VPN continuent de fleurir ; le lien social s’est distendu à tel point que la défiance règne dans les relations interpersonnelles, défiance que seuls les nouveaux groupes primaires de solidarité, comme les ONG non-officielles ou les organisations religieuses souterraines, contribuent à réduire ; bref, la société chinoise tourne le dos au pouvoir.

La bonne nouvelle pour Xi et le PC est que la grande majorité des Chinois continuent de se désintéresser du politique qui reste l’affaire du Parti comme autrefois elle était l’affaire des mandarins. Tant que celui-ci fournit progrès économique, social et écologique mais aussi sécurité et stabilité, les contestataires resteront faibles et isolés ; guère pétries de culture démocratique et jalouses de privilèges récemment et durement acquis, les classes moyennes continueront d’applaudir la chute de chaque bureaucrate corrompu, et de militer pour maintenir les migrants venus des campagnes dans un statut de citoyens de seconde zone ; et la majorité de la société se laissera séduire par le rêve de puissance et de grandeur diffusé par les organes de propagande du PC.

Ralentissement de la croissance

La mauvaise nouvelle est que les problèmes économiques s’accumulent : les réformes piétinent ; le pouvoir est pris entre son souci de maintenir son contrôle sur les secteurs clés de l’économie, où surproduction, gaspillages et surtout endettement abondent, et le besoin de s’ouvrir plus encore aux mécanismes de marché et sur l’extérieur, sachant pertinemment que ce sont les entreprises privées et étrangères qui créent les emplois et dynamisent la croissance. Le PC entend maintenir ces dernières en laisse, cherchant à en acquérir des parts. Il veut aussi les inciter à investir dans le secteur public. Mais l’on peut douter du succès de cette stratégie.

C’est la raison pour laquelle la croissance chinoise va ralentir. L’économie chinoise peinera plus que ne le pense Pékin à rattraper l’économie américaine, la « transition de puissance » à laquelle croient déjà trop de Chinois ne risque de ne jamais avoir lieu.

Certes, la Chine va continuer de s’imposer en Asie orientale et accroître son influence ailleurs. Mais elle aura du mal à poursuivre ses ambitieux projets, telles les nouvelles Routes de la Soie, au même rythme. Son système politique impérial et son idéologie exceptionaliste et de plus en plus anti-occidentale la préparent mal à assumer un rôle central sur la scène mondiale et à trouver avec le reste de la communauté internationales les normes communes auxquelles elle prétend aspirer. Et ses forces armées, quoique autrement plus puissantes qu’autrefois, sont loin d’avoir prouvé qu’elles peuvent gagner une guerre, ne s’étant pas battues depuis 1979.

Oui, Xi Jinping est puissant à Pékin, mais l’est-il autant loin de la capitale ? La Chine est-elle aussi forte qu’on le croit trop souvent ?

Par Jean-Pierre Cabestan, politiste, CNRS et université baptiste de Hongkong. Il est l’auteur « Le système politique chinois. Un nouvel équilibre autoritaire » (Presses de Sciences Po, 2014).

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