Yémen : «J'ai peur de ce qui peut nous arriver»

Des forces pro-gouvernementales yéménites tirant une mitrailleuse lourde au sud de l'aéroport de Hodeida, dans la province de Hodeïda au Yémen, vendredi. Photo AFP
Des forces pro-gouvernementales yéménites tirant une mitrailleuse lourde au sud de l'aéroport de Hodeida, dans la province de Hodeïda au Yémen, vendredi. Photo AFP

La guerre au Yémen est considérée comme la pire catastrophe humanitaire actuelle. Mohammad, travailleur humanitaire de l’ONG Care (1) à Hodeïda, témoigne de la terreur des habitants alors que l’offensive militaire, lancée il y a deux jours, se rapproche de la ville. Les impacts humanitaires risquent d’être catastrophiques.

«Hodeida, j’y vis depuis toujours. J’aime cette ville. Mais aujourd’hui, j’ai peur de ce qui peut nous arriver. Depuis ce matin, nous entendons les avions voler très bas dans le ciel. Les bombardements ont débuté il y a deux jours autour de la ville. Mercredi matin, plus de trente frappes aériennes ont eu lieu en trente minutes. On dit que les avions se rapprochent, qu’ils sont entre al-Douraïhimi, à 9 kilomètres de Hodeida, et ici. Le bruit qu’ils font est effrayant, je n’ai jamais rien entendu de tel.

Avant la guerre, la ville de Hodeida était connue pour la gentillesse de ses habitants, des pêcheurs principalement. La plupart d’entre eux sont très pauvres et quand la guerre a éclaté il y a trois ans, la situation est vite devenue très difficile. Chaque jour, nous luttons pour survivre. Comme si ce n’était pas déjà assez difficile… Avec l’attaque en cours, c’est de pire en pire. Le climat ici est très chaud et humique, particulièrement en ce moment. J’ai très peur que l’attaque provoque une coupure d’électricité et d’eau. Cela aurait un impact terrible sur les 600 000 habitants. Si cela arrive, je ne sais pas si nous pourrons survivre. Tant de gens sont déjà malades. Le choléra, la dengue, la malaria se répandent. Dans n’importe quelle famille, au moins une ou deux personnes ont déjà souffert de la dengue au cours des derniers mois.

Je suis inquiet de devoir quitter ma maison. Je ne peux pas me résoudre à prendre cette décision. C’est la maison que mon père a construite, c’est chez nous. J’y ai grandi, avec mes frères et sœurs, nous avons tant de souvenirs ici. Je ne veux pas voir ma ville détruite par les bombardements. Ici, les maisons sont vieilles, construites de boue et de briques. Si l’une est touchée, c’est tout le voisinage qui s’effondre.

C’est ma ville qui est menacée par cette offensive mais aussi tout le pays. Les deux tiers de la population du Yémen dépendent de la nourriture, du carburant et des médicaments qui passent par le port de Hodeida. C’est le principal point d’entrée de l’aide au Yémen. Les importations alimentaires ont déjà atteint les niveaux les plus bas depuis le début du conflit et le prix des produits de base a augmenté d’un tiers. Les habitants de mon pays sont déjà épuisés, affamés par cette guerre et n’ont aucun moyen de faire face à une nouvelle escalade de violences. Le port est toujours ouvert pour l’instant mais s’il est affecté par cette offensive, certaines parties de la population yéménite pourraient connaître la famine.

Aujourd’hui, nous fêtons l’Aïd, c’est pour nous le jour le plus important de l’année. D’habitude, on peut entendre les enfants qui jouent dans la rue et les feux d’artifice. Cette année, les gens ne laissent pas leurs enfants sortir, ils ont peur. Malgré notre inquiétude, nous essayons de garder le sourire et de profiter de ce jour de fête en famille. Mais c’est très difficile. Aujourd’hui, plus que jamais, je souhaite que toutes les parties au conflit stoppent les bombardements et entament un dialogue. J’espère que c’est ce qu’ils feront, plutôt que de détruire ma maison, ma ville et la vie de centaines de milliers de personnes.»

Mohammad, travailleur humanitaire de l’ONG CARE à Hodeida.


(1) Care est l’un des plus grands réseaux d’aide humanitaire au monde, apolitique et non confessionnel. Care travaille au Yémen depuis 1992 et est l’une des rares ONG internationales à continuer d’apporter une aide humanitaire dans les circonstances actuelles, extrêmement difficiles. Care apporte une aide d’urgence aux populations du gouvernorat de Hodeida : accès à l’eau potable et aide alimentaire via un soutien financier. Pour en savoir plus et soutenir ces actions : carefrance.org

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