Il y a un an, alors que l’épidémie de coronavirus était en expansion rapide, une note de l’OMS exposait les deux stratégies sanitaires envisageables : contenir l’épidémie ou l’éliminer. La première stratégie, dite de mitigation ou d’aplatissement de la courbe, a été celle adoptée par l’exécutif : elle vise à limiter le taux de reproduction épidémique pour maintenir les services de réanimation en dessous de la saturation. Cette stratégie, qui impose à la population des contraintes considérables pour une durée indéfinie, a conduit à un haut plateau épidémique faisant 400 morts et 20 000 contaminés par jour. L’absurdité de ce choix est évidente : puisque le contrôle s’effectue sur le taux de reproduction, l’épidémie pourrait aussi bien être contenue sur un plateau très bas sans demander d’effort supplémentaire.
Cette irrationalité française tient-elle au fait que les décisions stratégiques sont prises dans l’opacité, sans débat public scientifiquement éclairé ? De fait, les moyens d’action proposés par les chercheurs de différentes disciplines ont été réduits à un unique curseur réglant le niveau de privation de liberté par le confinement. L’autocontrôle par les autorisations de déplacement dérogatoire et l’inutile couvre-feu de 18 heures nous valent d’être la risée de nos voisins, qui titraient dès novembre sur «l’Absurdistan autoritaire». «Et inefficace», faut-il ajouter aujourd’hui. Alors que de nouvelles souches ont fait leur apparition, plus contagieuses et plus résistantes à l’immunisation, il est temps que l’action publique s’appuie enfin sur le débat démocratique et sur des propositions rationnelles préalablement soumises au travail de controverse scientifique.
Succès
La seconde stratégie exposée il y a un an, qui vise à l’élimination du virus, a été appliquée avec succès dans plusieurs pays, qui ont retrouvé leur vie sociale et leur activité productive. S’il est vrai que l’insularité a aidé certains pays comme la Nouvelle-Zélande, une concertation entre pays frontaliers permettrait de pallier cette difficulté en Europe. Insistons : quand bien même la présentation de la stratégie d’élimination inclut souvent une phase transitoire de reconfinement, tout l’intérêt du zéro Covid réside dans le fait que cette stratégie n’est pas directement tributaire d’un confinement. Au contraire, même : elle repose sur le déploiement de multiples mesures complémentaires, concourant à en finir avec le coronavirus en quelques mois sans porter atteinte aux libertés publiques.
Nous savons, depuis juin 2020, que le coronavirus se transmet principalement par voie d’aérosol, y compris par des porteurs asymptomatiques, lorsqu’ils respirent ou parlent. Le port de masques FFP2 dans les lieux clos permet de diminuer d’un facteur 50 la quantité de particules virales inhalées. Il faut généraliser leur usage, et donc en fabriquer ou en commander, et éduquer à leur nettoyage et à leur recyclage. Les lieux de restauration collective sont des endroits de forte contamination : en équipant chaque table de deux hottes de ventilation équipées de filtre Hepa, l’une qui apporte à la table de l’air non contaminé, et l’autre, aspirante, qui piège les gouttelettes produites avant qu’elles puissent être inhalées, on réduit la quantité de particules virales d’un facteur 10. Il faut donc produire ou acheter ces purificateurs d’air et former des techniciens pour leur déploiement rapide. Pour quantifier le risque et adapter les procédures sanitaires aux caractéristiques d’un lieu fermé, il convient de déployer des capteurs de CO2 et de particules fines, peu onéreux. Ce ne sont là que trois exemples, parmi des dizaines de techniques dont l’Etat doit assurer la conception, la mise en production et la généralisation dans les transports, les bureaux, les lieux de culture, les écoles et les universités, pour quelques milliards d’euros, un coût faible au regard du désastre économique et social actuel.
Fiasco national
La vaccination a un rôle clé à jouer dans le dispositif d’élimination du virus. Mais elle est menacée par le fiasco national en matière de conception, de fabrication et de distribution des vaccins. Cet échec est imputable à la politique de recherche court-termiste menée depuis quinze ans contre la volonté de la communauté scientifique, mais aussi au fait que l’appareil d’Etat, dont les hauts fonctionnaires sont dépourvus de formation scientifique, a de facto remplacé toute politique de recherche industrielle publique par l’octroi, en pure perte, de milliards d’euros de crédit d’impôt aux entreprises privées. Or, sans un pôle industriel de santé publique à même d’accompagner l’effort scientifique, la lutte contre le Covid sera vouée à l’échec.
Sur la durée, éliminer le coronavirus exige le recrutement et la formation d’équipes d’arpentage épidémiologique regroupant 50 000 personnes par groupes de cinq, affectés à des quartiers ou à des communes au gré des résurgences. Le test des eaux usées permettra leur déploiement rapide selon les besoins. Ces équipes tenues au secret médical auront la tâche de retracer les contacts, de proposer des méthodes d’isolement, d’effectuer des tests et d’assurer la politique de prévention de terrain, qu’une application ou un «centre d’appels» ne permettent pas de mener. Trois semaines à plein temps et cinq en alternance sont nécessaires à leur formation. Un confinement éventuel, imputable à l’impéritie de l’exécutif, n’a pas vocation à excéder cette période d’équipement et de formation, à l’issue de laquelle le taux d’incidence aura fortement baissé. Le pays entrera dans une nouvelle temporalité, celle d’une veille reposant sur un maillage sanitaire étroit mais respectueux des libertés publiques. Il faudra alors tirer les leçons des échecs stratégiques et recréer les conditions permanentes d’un débat public scientifiquement informé. Les errements d’une année sonnent comme un avertissement : l’intégrité, la responsabilité et l’autonomie de la science conditionnent notre capacité de délibération, notre démocratie et nos libertés publiques.
Premiers signataires : Bruno Andreotti Physicien ; Bruno Canard Virologue ; Pascale Dubus Histoire de l’art ; Laurence Giavarini Littérature française ; Jacques Haiech Biologiste ; Axel Kahn Président de la Ligue contre le cancer ; Pascal Maillard Littérature française ; Pérola Milman Physicienne ; Pierre-Yves Modicom Germaniste.
Lien vers la page de signatures : https://rogueesr.fr/zero-covid/