Zone euro: « Un budget commun » pour « des projets communs »

En cinq ans, la zone euro a connu une progression de son produit intérieur brut (PIB) inférieure de 7,7 % par rapport au Royaume-Uni et de 7,3 % par rapport aux Etats-Unis. Le risque de poursuite de cet appauvrissement relatif pendant les cinq prochaines années doit inciter la zone euro à définir un projet commun au-delà de la seule monnaie.

Cette situation résulte de l’incomplétude originelle de l’union monétaire. L’unicité de la monnaie a longtemps masqué des déséquilibres profonds en matière de compétitivité et d’endettement (public et privé) au sein de la zone euro, d’autant moins soutenables que les pays ne disposaient plus de l’instrument de la dévaluation. L’ampleur de ces déséquilibres a rendu indispensable un renforcement de la gouvernance économique européenne (surveillances budgétaire et macroéconomique, union bancaire…).

Mais ces réformes n’ont pas été suffisantes. D’une part, les écarts de compétitivité-prix n’ont été que partiellement résorbés, et la France et l’Espagne affichent encore un déficit budgétaire supérieur à 3 %. D’autre part, le rééquilibrage en cours est asymétrique. L’Allemagne, qui a des marges de manœuvre pour stimuler sa demande intérieure, ne les utilise pas ou peu, et accumule des excédents budgétaires et courants.

Absence de coordination budgétaire

Cette absence de coordination budgétaire a sans doute retardé la reprise actuelle. Une politique budgétaire moins restrictive au niveau de la zone euro aurait facilité le rééquilibrage des pays en déficit tout en évitant une hausse durable du chômage, qui diminue l’employabilité de personnes éloignées trop longtemps du marché du travail. La politique conjoncturelle a alors reposé sur la seule Banque centrale européenne, dont la politique accommodante fait courir un double risque de nouvelles bulles et d’accoutumance à des taux anormalement bas.

Cette incomplétude inefficace de l’union monétaire européenne perdure en raison d’un obstacle politique : une défiance profonde des pays du centre et du nord de la zone euro envers la France et les pays du Sud. Cette défiance prend sa source dans les trajectoires divergentes budgétaires et macroéconomiques, que les premiers attribuent, en partie à raison, aux réformes structurelles qu’ils ont mises en œuvre (sur le marché du travail, les formations initiale et professionnelle, l’efficience de la dépense publique…) et à l’incapacité présumée des seconds à suivre cet exemple.

Les réformes structurelles pour des pays comme la France sont indispensables afin d’accroître durablement notre potentiel productif, et permettront de rétablir, avec l’Allemagne, les Pays-Bas et la Finlande, une confiance indispensable à toute mutualisation de ressources, avec par exemple la mise en place d’un budget de la zone euro. Un étage européen d’assurance-chômage serait un bon candidat pour assurer une politique contracyclique (les dépenses augmentent mécaniquement avec le chômage), mais son implémentation devrait surmonter des difficultés politiques et institutionnelles évidentes.

Confiance mutuelle

L’intérêt d’un budget commun ne se réduit pas aux considérations conjoncturelles. Si la discipline budgétaire et les réformes structurelles sont indispensables, elles peuvent ne pas suffire à harmoniser les niveaux de richesse et les trajectoires de croissance. L’intégration économique au sein de la zone euro a pu maintenir, voire renforcer, des spécialisations géographiques sur certains secteurs, qui induisent des divergences de PIB par tête entre pays.

Des transferts à un niveau fédéral (éducation, santé, recherche…) seraient alors nécessaires à terme pour garantir la soutenabilité socio-économique de la zone euro. En outre, certaines dépenses seraient plus efficacement actionnées au niveau européen (protection des frontières, défense et renseignement, numérique…), alors que le niveau national resterait pertinent pour d’autres politiques publiques.

La zone euro ne pourra durablement survivre qu’en étant établissant une confiance mutuelle entre les pays, par l’harmonisation de politiques économiques structurelles, mais aussi avec les citoyens, par l’élaboration de projets communs décidés démocratiquement et dont le contenu sera immédiatement visible et parlant. Sinon, les forces de repli national à l’œuvre lors du « Brexit » risquent de s’étendre au reste de l’Europe.

Par Emmanuel Jessua, directeur des études de Coe-Rexecode

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