Comment faire adopter un traité de l’Europe sociale et un pacte finance-climat pour changer la vie quotidienne des Européens ?

Peut-on encore gagner la bataille du climat ? Peut-on éviter le chaos ? Je suis persuadé que c’est possible, mais cela suppose d’utiliser les élections du 9 juin pour changer radicalement nos politiques, tant au niveau européen qu’au niveau national.
Les climatologues sont de plus en plus inquiets : le nombre de catastrophes climatiques a triplé en trente ans, et la concentration en CO₂ dans l’atmosphère augmente aujourd’hui trois fois plus vite que dans les années 1960 et 1970. Même quand le CO₂ émis par nos économies baisse un peu, les mégafeux de forêt dégagent un volume de CO₂ qui fait plus que compenser ces petites baisses. Le monstre est en train d’échapper à ses créateurs…

« Faire une pause », comme le veut Emmanuel Macron, serait pure folie. Il faut accélérer, au contraire, et se donner les moyens financiers de réussir une métamorphose rapide de notre modèle économique : investir dans la rénovation thermique de tous nos bâtiments – ce qui permettra à chaque famille d’économiser entre 800 et 1 000 euros par an sur ses dépenses de chauffage –, investir dans les transports en commun et les énergies renouvelables, aider financièrement nos agriculteurs à baisser leurs émissions et à s’adapter au réchauffement que l’on n’aura pas pu éviter… Rien qu’en France, on peut créer 900 000 emplois si on se donne les moyens de financer une politique ambitieuse de lutte contre le changement climatique.

Banque du climat et de la biodiversité

Comme rapporteur général du budget de l’Union en 2021, j’ai pu expliquer à bon nombre de décideurs européens de haut niveau le pacte finance-climat que Jean Jouzel, Anne Hessel et moi défendons depuis dix ans pour doter l’Europe d’une grande banque du climat et de la biodiversité. Une banque capable d’octroyer 300 milliards de prêts à taux zéro pour accélérer la transition écologique en Europe et dans les pays du Sud, en utilisant autrement les 3 000 milliards de quantitative easing (« assouplissement quantitatif ») créés depuis 2015 par la Banque centrale européenne. J’ai constaté que, même à la BCE, personne ne s’oppose vraiment à ce projet.

Personne ne s’oppose, mais rien n’avance ! Comme rien n’avance sur l’Europe sociale, dont on parle depuis 1992 ! En 2003, avec Michel Rocard et Stéphane Hessel, nous avions rédigé un traité de l’Europe sociale pour compléter les cinq critères financiers du traité de Maastricht (déficit, dette, inflation…) qui guident aujourd’hui nos politiques, avec cinq critères de convergence sociale : chômage, pauvreté, logement, éducation, aide au développement.

Jacques Delors et Romano Prodi, alors présidents de la Commission européenne, avaient demandé que ce traité social soit intégré dans la Constitution en cours de rédaction. Hélas, les néolibéraux l’avaient bloqué. Mais vingt ans plus tard, alors que l’Allemagne tombe en récession, car la multiplication des petits boulots (6 millions de mini-jobs à 538 euros par mois) a cassé la consommation, beaucoup comprennent enfin qu’il est urgent de donner un contenu concret à l’Europe sociale. L’incapacité des partis traditionnels à régler les problèmes de chômage, de pouvoir d’achat et de mal-logement nourrit le vote d’extrême droite et conduit notre système démocratique à deux doigts du K.-O.

Comment débloquer la situation ? Comment faire adopter un traité de l’Europe sociale et un pacte finance-climat qui pourraient changer la vie quotidienne et l’avenir de nos concitoyens ? Après cinq années au cœur du système, je pense que la seule solution pour éviter le pire est de provoquer un « électrochoc », comme le proposait Jürgen Habermas il y a quelques années. Le grand philosophe allemand affirmait que l’Europe allait mourir si elle n’avait pas un nouveau projet et de nouvelles règles du jeu, nettement plus démocratiques. Il proposait que nouveau projet et nouvelles règles du jeu soient approuvés non pas à l’unanimité des chefs d’Etat (il y en aura toujours pour bloquer), mais par un « référendum paneuropéen » : que tous les peuples soient invités à se prononcer le même jour sur les nouveaux traités.

Taxe sur les transactions financières

D’abord étonnée par la proposition (il n’y a pas eu de référendum en Allemagne depuis 1945), Angela Merkel avait finalement soutenu Habermas : oui, sans « électrochoc », l’Europe va mourir ! Oui, si le référendum a lieu le même jour dans tous les pays, ce n’est plus un plébiscite (pour ou contre Macron ?), mais la meilleure façon pour l’Europe de prendre un nouveau départ.
Aujourd’hui, il suffit d’un seul Bruno Le Maire pour bloquer la taxe sur les transactions financières demandée par le Parlement européen depuis quatre ans, qui rapporterait 57 milliards d’euros par an. Cette taxe, soutenue par plus de 70 % des Français, serait facilement adoptée par référendum si elle finance des subventions qui aideront toutes nos familles et nos PME pour rénover nos bâtiments et faire des économies sur nos factures d’énergie.

Les peuples qui voteraient oui seraient immédiatement dans le premier cercle. Les autres nous rejoindrons quand ils le voudront : pour l’espace Schengen, on a commencé à cinq, mais on est vingt-sept aujourd’hui. Pour la monnaie unique, on est passés de douze à vingt. Comme le disait la juriste Mireille Delmas-Marty, « ce référendum paneuropéen pourrait avoir un effet catalyseur. Ce serait un nouveau départ pour l’Europe, qui ferait oublier toutes ces années où l’on construisait l’Europe sans les peuples. Et on priverait l’extrême droite d’une grande partie de ses critiques contre l’Europe ».

Les élections européennes du 9 juin sont cruciales pour notre avenir. Après quarante ans de fuite en avant, il n’est plus possible de repousser certains choix fondamentaux. Il est urgent de provoquer un électrochoc. Ce n’est pas en mettant quelques rustines à un système qui menace ruine qu’on évitera le chaos. Quarante ans après la révolution néolibérale, il est urgent de lancer une révolution humaniste, une révolution de la dignité pour tous.

Pierre Larrouturou est député européen Nouvelle Donne, tête de liste de Changer l’Europe.

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