Une «trêve olympique» au Brésil?

Pour l’ex-président Lula, grand promoteur de l’organisation des Jeux olympiques à Rio de Janeiro, l’événement devait permettre de cristalliser auprès de l’opinion internationale l’ascension de son pays sur la scène mondiale. Mais, même si le Brésil recevra athlètes et touristes à bras grands ouverts, l’image qu’il offrira au monde sera celle d’une nation divisée et polarisée, avec deux présidents briguant le pouvoir.

A l’inverse du processus de destitution de Fernando Collor de Mello, en 1992, l’impeachment de Dilma Rousseff ne s’est pas traduit par un amenuisement de la crise brésilienne. Au contraire, nous assistons à une bataille politique et de communication entre le gouvernement intérimaire de Michel Temer et la présidente suspendue, Dilma Rousseff.

Sur le plan économique, la nouvelle administration a envoyé des signaux plus qu’ambigus : d’un côté, elle a annoncé des coupes dans les budgets de la santé et de l’éducation, et mis en doute l’efficacité des programmes sociaux. De l’autre, le gouvernement a sorti son chéquier pour consolider sa majorité parlementaire, qui devra se prononcer sur la mise à l’écart de Dilma Rousseff fin août, et pour plaire aux fonctionnaires, qui ont reçu d’importantes augmentations de salaire malgré l’«austérité» vantée par Michel Temer et son ministre des Finances, Henrique Meirelles.

Grâce à la bonne image de cet homme dans les milieux financiers (il fut président de la Banque centrale sous Lula), les marchés ont fait preuve d’une attitude bienveillante face à ces mesures, mais il est peu probable que cela dure. Or, contrairement à 2003, lorsque Lula avait non seulement la légitimité des urnes, mais aussi la force politique pour imposer à son parti et aux partis de sa coalition l’adoption de mesures impopulaires, une proportion non négligeable de l’opinion publique considère aujourd’hui Temer comme un président par intérim illégitime. En outre, ce dernier doit faire face à la même majorité parlementaire qui a refusé de mettre en œuvre les mesures d’austérité proposées par Dilma Rousseff en 2015, et qui reste engluée dans un torrent d’affaires de corruption.

De façon plus structurelle, la triple crise brésilienne a révélé une bonne partie des failles du pays. En premier lieu, la grande promiscuité existante entre l’argent et la politique, engendrée par un système électoral dysfonctionnel qui n’impose aucune limite de dépenses pour les campagnes électorales et favorise la fragmentation des partis au Parlement. En nommant des ministres impliqués dans ces scandales de corruption, Michel Temer montre qu’il veut faire prévaloir le statu quo.

En second lieu, le manque de pluralisme dans les médias a été mis en exergue par le traitement partial et partiel des événements, visant in fine à fragiliser Dilma Rousseff. En mettant à profit sa force de frappe, la presse a assumé pleinement son rôle de quatrième pouvoir et de soutien à l’ancienne opposition. Là encore, les actions du gouvernement intérimaire ne vont pas dans le sens de l’apaisement : Michel  Temer a tenté de révoquer le patron de la chaîne de télévision publique (EBC), avant d’être rappelé à l’ordre par la Cour suprême. A défaut de la contrôler, il souhaiterait désormais dissoudre cette dernière. Finalement, si la justice a joué un rôle crucial dans la révélation des affaires de corruption qui accablent l’élite politique, médiatique et économique du pays, il n’en reste pas moins que certains membres du pouvoir judiciaire n’ont pas hésité à se placer au-dessus des lois pour parvenir à leurs fins. La justice est devenue, en partie, un instrument de provocation politique. Plus de quatre mois après la comparution forcée de Lula à l’aéroport de São Paulo, qui eut un retentissement international, aucun document n’est venu étayer matériellement un enrichissement illicite ou un détournement de fonds de l’ancien président. Alors que les preuves se font attendre, l’acharnement médiatique et juridique contre Lula reste de mise. Il a d’ailleurs été inculpé vendredi.

Même s’il est probable que les mobilisations diminuent pendant les JO, nous ne pouvons pas oublier que dans les enquêtes d’opinion, le gouvernement intérimaire reste très impopulaire (14 % de satisfaits). D’un autre côté, plus de 60 % des Brésiliens soutiennent des élections anticipées. Et si la présidentielle avait lieu aujourd’hui, Lula l’emporterait au premier tour. Au pays de la cordialidade, après les émotions et la trêve des JO, les prochains mois donneront lieu, sans aucun doute, à de profondes luttes politiques.

Gaspard Estrada, Directeur exécutif de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes.

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