Afrique : les quatre vraies crises migratoires

Des Ethiopiens se réunissent sous le regard des forces de sécurité saoudiennes, à Riyad en 2013, avant d'être rapatriées. (Uncredited/AP)
Des Ethiopiens se réunissent sous le regard des forces de sécurité saoudiennes, à Riyad en 2013, avant d'être rapatriées. (Uncredited/AP)

Les crises migratoires africaines ne sont pas forcément celles que l’on croit. Les quelque 70 000 Africains (1) arrivés irrégulièrement de janvier à novembre 2020 dans les ports européens de la Méditerranée et les îles Canaries ont beau faire la une en Europe, ils restent un épiphénomène, au vu des vrais enjeux migratoires de l’Afrique, aggravés par la pandémie de Covid-19. Aujourd’hui, quatre grandes crises touchent le continent, avec de lourdes conséquences.

Pour la première fois depuis plus de dix ans, les transferts d’argent des 19 millions de migrants africains vivant hors du continent ont baissé l’an passé. D’après les dernières estimations de la Banque mondiale faites en octobre, elles ont chuté de 9 % en 2020 et baisseront encore de 6 % cette année. En Afrique subsaharienne, les transferts sont passés de 48 milliards de dollars (40 milliards d’euros) par an en 2018-2019 à 44 milliards en 2020, et l’estimation pour 2021 tombe à 41 milliards. Cet apport reste plus important que tous les investissements directs étrangers réunis (32 milliards de dollars en 2019) et légèrement inférieur à l’aide publique au développement.

Cette chute affecte particulièrement le Soudan du Sud (dont 35,4 % du PIB dépend des transferts), le Zimbabwe (10,8 %) et le Sénégal (9,4 %), sans oublier le Nigeria, qui a reçu l’an dernier une manne de 21,7 milliards de dollars, soit 2 milliards de moins qu’en 2019.

Retours et exode

La pandémie a provoqué ou exacerbé des mouvements de retour de migrants vers leurs pays d’origine, avec de forts effets déstabilisateurs, comme en Ethiopie. Une première campagne de retour forcé de 163 000 Ethiopiens séjournant irrégulièrement en Arabie Saoudite avait été menée entre novembre 2013 et mars 2014. Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), 380 000 autres migrants sont rentrés depuis avril 2017, soit 10 000 par mois en moyenne jusqu’au début de la pandémie. Presque tous sont originaires des régions du Tigré, d’Amhara et d’Oromia, les plus instables ces dernières années.

Même si le rythme du retour a baissé depuis avril, avec 34 000 retours jusqu’à novembre, les autorités s’attendent à 200 000 à 500 000 retours dans les prochains mois, en raison de la contraction de l’activité dans les pays du Golfe. L’impact de ces flux sur le marché de l’emploi, les services sociaux et la stabilité politique dans des régions où la guerre a entre-temps éclaté reste à étudier.

La crise du Covid-19 rappelle aussi à quel point la fuite des cerveaux à grande échelle peut mettre à mal le secteur de la santé. C’est passé inaperçu, mais les Etats-Unis ont encouragé les professionnels de la santé à travers le monde, en particulier ceux travaillant sur le Covid-19, à solliciter un visa auprès du consulat américain le plus proche dans leur pays. Selon certaines sources, pas moins de 16 000 médecins égyptiens ont été admis aux Etats-Unis – alors que nombre de professionnels de la santé issus de ce pays exercent déjà dans les pays du Golfe. Selon le syndicat des médecins égyptiens, 110 000 praticiens, soit la moitié des médecins enregistrés en Egypte, exercent à l’étranger.

Cet exode affecte depuis des décennies le Ghana, le Nigeria ou encore le Zimbabwe, dont les infirmières et les médecins travaillent en grand nombre au Royaume-Uni. Cela s’explique par les salaires très bas et les structures de santé défaillantes en Afrique, et représente une lourde perte pour le continent, qui continue d’afficher les ratios de médecins par millier d’habitants les plus bas au monde.

7,3 millions de réfugiés

Plus connue et documentée, la crise des réfugiés reste brûlante – provoquée par les conflits au Sahel et les changements climatiques. En 2019, il y avait en Afrique 7,3 millions de réfugiés et demandeurs d’asile, soit deux fois plus qu’en 2000, venant pour la plupart du Soudan du Sud, de Somalie, de république démocratique du Congo, de Centrafrique et d’Erythrée. Ces chiffres, en hausse dans les pays du Sahel touchés à la fois par les attaques islamistes et le Covid-19, sont à mettre en rapport avec les 21 millions de migrants africains en Afrique, sans oublier les 18 millions de personnes déplacées à l’intérieur des frontières de leurs pays.

Malgré toutes ces difficultés, 2020 a été une année de renforcement du cadre de gouvernance des migrations en Afrique. En effet, l’Union africaine a adopté un plan d’action triennal détaillé pour 2020-2022 afin d’assurer la mise en œuvre du «pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières». En parallèle, en février 2020, elle a adopté les statuts du nouvel Observatoire africain des migrations, dont le siège a été inauguré à Rabat. Les premiers jalons de l’agenda africain sur les migrations, lancé en janvier 2018, sont posés. Reste à mettre en œuvre le projet d’une zone continentale de libre circulation des personnes, pour en faire un vrai levier de développement et non une simple réponse tactique aux pressions ou engagements internationaux.

Par Iván Martín, économiste, senior fellow du Policy Center for the New South, chercheur associé au Groupe de recherche interdisciplinaire sur l’immigration (université Pompeu-Fabra de Barcelone)

(1) La plupart des données présentées dans ce texte s’appuient sur le Rapport sur l’économie de l’Afrique produit par le Policy Center for the New South où l’auteur de ce texte est senior fellow.

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