En Argentine, Javier Milei à l’épreuve des réalités économiques

En février 2019, lors d’un événement de cosplay, où l’on se déguise en un personnage de fiction, Javier Milei, alors économiste peu reconnu par ses pairs et polémiste, faisait fureur avec son personnage de super-héros : « le général Ancap », pour « anarcho-capitaliste ». A cette époque, il n’était pas entré en politique et le Partido libertario (Parti libertarien), dont il est la principale figure, n’avait que quatre mois d’existence.

Cinq ans plus tard, l’excentrique « libéral libertarien » se revendiquant de l’école autrichienne (école de pensée économique ultralibérale), qui cite à l’envi les Prix Nobel d’économie néolibéraux Friedrich Hayek (1974) et Milton Friedman (1976), préside aux destinées de l’Argentine. Sa tronçonneuse, emblème de campagne qui devait couper dans les dépenses publiques et tailler dans l’Etat, a été mise en marche dès son investiture, le 10 décembre 2023. « Il n’y a pas d’alternative à l’austérité. Il n’y a pas d’alternative au choc », avait-il alors déclaré face à ses soutiens.

Dans les jours qui ont suivi, Javier Milei annonçait un gouvernement réduit à neuf ministères, contre dix-huit auparavant, une dévaluation de plus de 50 % du peso argentin et signait, le 20 décembre, un décret dérégulant de nombreux secteurs de l’économie du pays. Sa croisade pour remettre de l’ordre dans une économie argentine minée par une inflation, qui galopait alors à 160 % par an (de novembre 2022 à novembre 2023), était lancée.

Après cinq mois au pouvoir, Javier Milei a-t-il dû remiser la cape du général Ancap ? « Les défaillances du marché n’existent pas », assurait-il à Davos (Suisse), le 17 janvier, en ligne avec son courant de pensée, qui prône une intervention de l’Etat presque nulle. Le président argentin a pourtant déjà dû revoir sa copie sur de nombreux aspects.

La dérégulation du marché cartellisé de la santé privée qu’il a décidée en est un exemple. Les dix entreprises se partageant 83 % des assurés se sont rapidement mises d’accord sur des augmentations de tarifs bien supérieures à l’inflation, poussant de nombreuses familles de la classe moyenne à délaisser leurs polices de santé privée. Le 5 avril, le ministre de l’économie, Luis Caputo, reconnaissait, lors d’une interview sur la chaîne TN, que les assureurs avaient eu la « main lourde ». Quelques jours plus tard, il annonçait que le marché allait à nouveau être régulé par l’Etat et imposait aux sociétés de faire marche arrière. Même type de recul en matière d’énergie, dont l’augmentation des tarifs, prévue début mai, a été repoussée pour ne pas alimenter l’inflation.

Bataille centrale, selon le président, cette dernière n’a pas d’autre origine que le déficit budgétaire qui, financé par l’émission monétaire, entraîne une dépréciation de la monnaie et une hausse des prix. Au premier trimestre de cette année, le chef de l’Etat a réduit les dépenses publiques de plus de 35 % en termes réels, d’après la Asociacion argentina de presupuesto y administracion financiera publica. Résultat : le gouvernement a effectivement atteint l’équilibre budgétaire dès le début de son mandat. Mais qu’en est-il de l’inflation ?

Au lendemain de l’élection de Javier Milei, le 19 novembre 2023, les prix se sont emballés. La dévaluation du peso, annoncée le 13 décembre, est venue accélérer la hausse des prix : 25,5 % en décembre et encore 20,6 % en janvier. Depuis, sur fond de politique monétaire extrêmement restrictive et de perte de pouvoir d’achat, elle montre des signes de ralentissement.

Pour avril, les estimations de plusieurs cabinets de conseil tablent sur une inflation mensuelle autour de 9 %. Un chiffre affiché comme une victoire par Javier Milei, alors qu’elle reste supérieure au 8,3 % du mois d’octobre 2023, avant son élection et la dévaluation du peso, et qu’elle cumule 51,6 % sur le premier trimestre, d’après l’Institut national de la statistique et des recensements.

La politique de l’exécutif argentin pour enrayer la hausse des prix semble donc passer par une profonde récession. L’activité économique chute, l’épargne fond et la consommation s’effondre, mettant en péril son objectif de « déficit zéro » dans un pays où la TVA représente près de 30 % des rentrées fiscales. Pour compenser, le gouvernement nommé par Javier Milei, qui considère pourtant que « les impôts sont un vol », est en passe de rétablir l’impôt sur le revenu, alors qu’il avait voté en faveur de sa suppression presque totale en septembre 2023, en pleine campagne électorale.

Les Argentins semblent malgré tout vouloir donner sa chance à Javier Milei. En dépit de la sévère cure d’austérité à laquelle ils sont soumis, le président continue de bénéficier, d’après un sondage publié le 25 avril par Opina Argentina, du soutien de 53 % de la population. « La bataille culturelle de droite, libérale, menée par Javier Milei, a permis de convaincre l’opinion publique que c’est le moment d’appliquer des politiques dures et drastiques pour assainir l’économie argentine », explique Facundo Cruz, politologue à l’université de Buenos Aires.

De nombreux économistes soulignent les contradictions du président argentin. Plus qu’une révolution libertarienne, la recette appliquée au pays a tout l’air d’un plan d’ajustement classique retombant essentiellement sur les classes moyennes, retraités en tête, et non sur la « caste politique », comme promis lors de sa campagne. Un refrain bien connu en Argentine, très similaire à ceux chantés pendant la dictature ou dans les années 1990, durant la présidence du libéral Carlos Menem (1989-1999), et qui a débouché sur la crise économique de 2001.

Dans son dernier livre, « Capitalismo, socialismo y la trampa neoclásica » [« capitalisme, socialisme et le piège néoclassique », Planeta, non traduit], Javier Milei écrit : « Quand le modèle ne s’applique pas à la réalité, il ne faut pas s’énerver contre la réalité, il faut changer le modèle. » Le président argentin serait-il prêt à changer le sien ?

Anaïs Dubois

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