Occidentaux, ne manquez pas l'occasion de négocier !

Débutera à Vienne le 2 juillet, le prochain cycle de négociations sur le nucléaire entre l'Iran et les trois pays de l'Union européenne (France, Royaume-Uni, Allemagne), ainsi que la Russie, la Chine et les Etats-Unis, rassemblé dans l'accronyme le E3+3. Même si elles devaient se prolonger, ces discussions seront les dernières à se dérouler avant le 20 juillet, première date butoir fixée par l'accord préliminaire adopté à Genève le 24 novembre 2013.

L'Iran a la volonté politique de « parvenir à une solution globale mutuellement acceptable à long terme ». Mais les pourparlers ne pourront trouver une issue positive qu'à la condition que les parties soient décidées à rechercher des solutions acceptables de part et d'autre et correspondant aux objectifs convenus dans l'accord préliminaire : « s'assurer que le programme nucléaire de l'Iran sera exclusivement pacifique » et « la levée globale de toutes les sanctions du Conseil de sécurité de l'ONU, ainsi que des sanctions multilatérales et nationales liées au programme nucléaire de l'Iran».

Si la lucidité et l'analyse réfléchie peuvent assurer le succès, les illusions et les calculs erronés pourraient en revanche déboucher sur une nouvelle occasion manquée.

Le « Plan d'action conjoint » a été conclu en 100 jours après que nous ayons assumé la responsabilité de notre dialogue avec les six grandes puissances mondiales. Cet accord historique – le premier depuis près de dix ans – repose sur deux piliers essentiels. Le premier est la reconnaissance par l'Occident de notre légitimité à défendre nos droits, notre dignité et le respect qui nous est dû. Le second est notre volonté de démontrer que nos activités nucléaires sont exclusivement pacifiques.

L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) a pu constater que nous tenions nos promesses. La coopération dont nous faisons preuve à l'égard de l'Agence est reconnue comme étant la meilleure depuis des années. Nous poursuivrons dans cette voie afin d'atteindre nos priorités nationales de sécurité, lesquelles impliquent que nous montrions clairement que, conformément à nos obligations, nous ne cherchons pas à acquérir un armement nucléaire.

Nous n'avons rien à cacher. Le programme et les activités nucléaires de l'Iran sont exclusivement pacifiques et sont menés pour répondre aux besoins civils de l'Iran en matière de santé, d'énergie et dans d'autres secteurs similaires. Dans de nombreux cas, l'Iran a été contraint de développer ses propres infrastructures nationales après que tous ses efforts pour accéder aux marchés habituels ont échoué, avec notamment l'interdiction qui nous a été faite de bénéficier des droits liés à notre participation dans le capital de la société française Eurodif.

Ignorant ces réalités et déformant l'ensemble des faits, de petits mais puissants groupes de pression en Europe et aux Etats-Unis ont mené campagne, en martelant de façon hystérique que le programme iranien visait à fabriquer des armes nucléaires, et que nous serions en mesure de produire en quelques mois une quantité suffisante de matière fissile pour une bombe. Aussi, affirment-ils, notre programme nucléaire doit être radicalement freiné afin d'empêcher l'Iran de développer des armes nucléaires. Cette approche repose sur une méconnaissance grossière des étapes, du temps et des dangers qu'impliquerait la mise au point précipitée d'une bombe. Elle ignore également de manière flagrante les engagements et les priorités attestés de l'Iran.

Une étude scientifique sérieuse et des calculs techniques précis, bien loin de la caricature alarmiste brandie il y a deux ans à l'Assemblée générale des Nations unies, montreraient clairement que si l'Iran décidait un jour de mettre au point une bombe, cela lui prendrait plusieurs années, et non quelques mois. Nous devrions expulser tous les inspecteurs de l'AIEA. Notre programme pacifique placé sous surveillance internationale devrait être reconfiguré afin de produire des matières fissiles à capacité militaire. Celles-ci devraient être converties en métal, moulées selon une forme adaptée à une bombe et subir d'innombrables autres modifications complexes pour en faire une arme. L'Iran n'a entrepris aucune des ces étapes.

Même lorsque nous en avions le temps, nous n'avons pas cherché à fabriquer une bombe. Entre 2005 et 2013, à l'époque où les relations de l'Iran avec l'Occident et sa coopération avec l'AIEA étaient au plus bas, nous disposions de suffisamment de temps, étions soumis à de faibles contraintes internationales, faisions l'objet d'une surveillance relativement légère et possédions assez de centrifugeuses pour mettre au point une bombe. Nous avons même payé le prix d'un régime de sanctions massif et injuste, réservé à ceux qui se livrent à la prolifération d'armes de destruction massive. Mais comme l'ont concédé deux rapports consécutifs de la communauté des services de renseignements américains (National Intelligence Estimates), en 2007 puis en 2012, l'Iran n'a pas fait un seul pas dans cette direction.

En réalité ce sont les convictions morales et religieuses de l'Iran, ainsi qu'une analyse stratégique lucide, qui l'ont tenu éloigné des armes nucléaires, et non le nombre de centrifugeuses ou d'unités de travail de séparation (UTS) dont il disposait. De façon assez paradoxale, certains en Occident ignorent les données scientifiques et les précédents historiques, et préfèrent répandre le double mythe dangereux selon lequel l'Iran a besoin de la bombe pour se protéger et qu'il ne lui faudrait que quelques mois pour en produire une.

Aujourd'hui, dans nos négociations avec le E3+3, s'ouvre pour nous une occasion unique de mettre en place des mesures de renforcement de la confiance à long terme ainsi que des accords de surveillance et de vérification extensive garantissant, donnant des garanties accrues que le programme nucléaire iranien restera pour toujours exclusivement pacifique. Pour surmonter les obstacles et ouvrir la voie à cette étape historique, nous devons regarder vers l'avenir. Mais nous ne pouvons et ne devons pas ignorer les enseignements de l'histoire. Il est essentiel de comprendre les raisons pour lesquelles les illusions ont généré le cycle des occasions perdues.

De 2003 à 2005 j'ai été directement impliqué dans les négociations sur notre programme nucléaire, qui étaient alors menées par l'actuel président iranien. Beaucoup des illusions et des prises de position correspondantes que je constate aujourd'hui me rappellent étrangement celles dont j'ai été témoin à l'époque. Le 23 mars 2005 à Paris, je présentais une proposition à nos interlocuteurs de l'Union européenne. Elle comprenait une série de mesures élaborées par des scientifiques indépendants non Iraniens destinées à garantir que notre programme nucléaire demeurerait toujours pacifique.

La réponse que nous avons reçue était une brutale fin de non-recevoir. A l'instigation de l'administration Bush,nos homologues européens demandaient que nous nous abstenions des activités d'enrichissement au moins jusqu'en 2015. L'insistance de Washington sur l'enrichissement zéro en Iran a produit exactement l'effet inverse, mais a en revanche réussi à torpiller le dialogue.

Alors que l'année 2015 se rapproche, le résultat du maximalisme et de l'obsession des sanctions qui se sont manifestés à l'époque est d'une clarté aveuglante. L'Iran, qui possédait alors 200 centrifugeuses, en a près de 20 000 aujourd'hui. Notre capacité d'enrichissement est passée de 3,5 % à 20 %. Et le réacteur à eau lourde d'Arak sera opérationnel dans un an.

La plupart des observateurs occidentaux ont publiquement regretté d'avoir manqué l'occasion fournie par ma proposition de 2005. En réalité, l'erreur de jugement commise alors par l'Occident est largement responsable de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Aujourd'hui le président Rohani et moi-même sommes de retour à la table des négociations – et notre approche n'a pas changé. Il en va malheureusement de même pour les illusions de certains dans l'autre camp. Nous sommes prêts à fournir des garanties sur la nature exclusivement pacifique de notre programme nucléaire. Mais nous n'abandonnerons pas, et nous ne braderons pas, nos avancées technologiques ni nos scientifiques. Il ne serait d'ailleurs ni prudent, ni dans l'intérêt de la non-prolifération, d'attendre de nous que nous le fassions.

Personne ne peut revenir en arrière. Des sacrifices ont été consentis. Les capacités sont aujourd'hui considérablement différentes. Savoir-faire et expertise sont désormais maîtrisés. Nul ne peut les faire disparaître d'un coup de baguette magique. Les pressions et les sanctions ont été inefficaces.

Alors que se rapproche le moment décisif où l'accord provisoire sur le nucléaire pourrait se transformer en une solution globale, j'exhorte mes interlocuteurs à répondre à notre volonté d'apaiser les inquiétudes concernant nos capacités nucléaires par la prise en compte de notre exigence de dignité et de respect. Mais surtout, je les presse de ne pas laisser les illusions faire dérailler un processus qui permettra de mettre un terme à une crise inutile et d'ouvrir de nouveaux horizons. Une telle approche ne débouchera pas seulement sur une solution globale à la question du programme nucléaire iranien, mais ouvrira la voie à une meilleure coopération visant à rétablir la stabilité de la région et à renforcer la paix et la sécurité internationales.

Mohammad Javad Zarif a été nommé en 2013 ministre iranien des affaires étrangères par le nouveau président Hassan Rohani. Depuis octobre dernier il chapeaute les négociations sur le programme nucléaire iranien avec les Occidentaux.
Traduit de l'anglais par Gilles Berton.

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