Berlusconi, ou le triste signe d'une abyssale crise politique

Tous ceux qui s’intéressent à la politique italienne se posent aujourd’hui la même question : comment est-il possible que Berlusconi occupe de nouveau le devant de la scène et que, à la veille des élections, la coalition dont il est à la tête (Forza Italia, la Ligue du Nord, de Matteo Salvini, et Fratelli d’Italia, de Giorgia Meloni) apparaisse comme l’unique force capable d’obtenir la majorité absolue ?

En réalité, Berlusconi n’a jamais vraiment disparu, même si, après la démission de son gouvernement en 2011, il en est venu à jouer un rôle plus marginal. Mais la faiblesse du système politique italien, et en particulier du Parti démocrate (PD), parallèlement à la montée en puissance du Mouvement 5 étoiles (parti antisystème), lui a permis de rester en piste. De 2011 à 2013, il a soutenu, avec le PD, les gouvernements Monti et Letta (jusqu’en novembre 2013, quand il est passé dans l’opposition). En janvier 2014, il a été, avec Matteo Renzi, le principal protagoniste du pacte censé engager les réformes institutionnelles.

Les procès et les condamnations l’ont fait exclure du Sénat en 2013, et toute charge publique lui est interdite jusqu’en 2019. Et pourtant, Berlusconi a continué de représenter l’aile modérée de la droite. Aucune figure extérieure à son parti n’a émergé pour lui contester ce rôle, tandis qu’il restait le seul chef au sein de Forza Italia. En effet, Forza Italia est un parti personnel : son chef de file a empêché la mise en œuvre de mécanismes démocratiques qui auraient permis à de nouvelles personnalités d’apparaître et de le concurrencer.

Coalition avec la Ligue

A la tête d’un parti dont la base s’est réduite comme peau de chagrin, il a été défié ces dernières années par le nouveau leader de la Ligue du Nord (dite « Ligue » – Lega  – depuis janvier) : melo, élu fin 2013. Salvini a abandonné les objectifs fédéralistes qui caractérisaient originairement le mouvement pour faire de son parti une formation souverainiste et xénophobe, dont le slogan, « Prima gli italiani » (« Les Italiens d’abord »), l’apparente de plus en plus aux partis européens d’extrême droite.

Ce nouveau chef a porté la Ligue de 4 % en 2013 à 14 %, jouant sur les peurs de l’opinion publique face à l’immigration (selon une étude réalisée par la Fondation pour l’innovation politique, publiée dans l’ouvrage Où va la démocratie ? (Plon, 2017), 74 % des Italiens considèrent que l’immigration est un phénomène négatif pour leur pays), mais profitant aussi des difficultés économiques, attribuées surtout à l’euro et à Bruxelles (selon cette même étude, seuls 33 % des Italiens tiennent l’appartenance à l’Union européenne comme quelque chose de positif).

Berlusconi a néanmoins réussi à faire valoir ses talents de négociateur pour créer une coalition avec la Ligue et le petit parti d’extrême droite Fratelli d’Italia (de 4 à 5 %). Si l’on en croit les sondages de la mi-février (en Italie, une loi interdit la publication de sondages à quinze jours des élections), Forza Italia, crédité de 16 % d’intentions de vote, représente moins de la moitié de la coalition (36-37 %). De plus, si les dernières estimations donnaient la Ligue à 3 points au-dessous de Forza Italia, de plus récentes révèlent un net avantage de la Ligue dans les régions du nord. Ces dernières semaines, Salvini a par ailleurs largement profité de la place centrale qu’occupe la question de l’immigration dans la campagne électorale depuis l’attentat de Macerata, quand un jeune d’extrême droite a tiré sur des migrants en prétendant venger le meurtre d’une jeune femme pour lequel ont été suspectés trois Nigérians.

Radicalisation des électeurs

La coalition penche donc sensiblement vers la droite. D’autant que Berlusconi assume désormais des positions plus extrêmes vis-à-vis de l’immigration, promettant par exemple d’expulser du pays les 600 000 immigrés clandestins. Lors d’une émission télévisée, il a soutenu que la plupart des immigrés étaient dangereux parce qu’ils « détestent les chrétiens, les juifs et l’Etat italien ».

Une offre politique de centre droit mais toujours plus orientée à droite tire donc un grand avantage de la radicalisation des électeurs italiens. En même temps, même pour un électeur plus modéré, qui ne vote pas à gauche et craint le saut dans le vide que représente le Mouvement 5 étoiles, il n’y a que cette offre politique, surtout après l’échec du projet de Renzi de faire du Parti démocrate un grand parti réformiste susceptible d’attirer aussi bien les électeurs du centre et du centre droit. L’unique alternative : l’abstention. Mais pour un électeur qui se méfie de l’extrémisme de Salvini et de Meloni, il ne reste que l’ambigu Berlusconi.

Seule une droite unie semble capable d’obtenir la majorité pour gouverner, mais là encore, rien n’est moins sûr. En effet, si l’on prévoit une large victoire de la coalition de Berlusconi dans le Nord, dans le Sud, en revanche, le Mouvement 5 étoiles dépasserait de loin les 30 %, selon les sondages, privant ainsi la droite de nombreux sièges.

Enfin, il faut bien voir que le Berlusconi d’aujourd’hui est radicalement différent de celui de ses débuts, le Berlusconi de la « révolution libérale ». Et même du Berlusconi vainqueur de 2001 et de 2008. Le Berlusconi d’aujourd’hui est un monsieur de 81 ans qui ne pourra pas être élu ni occuper de fonctions gouvernementales, un homme qui oscille entre la modération, les thèses d’une droite « lepéniste » et des promesses intenables (la suppression du chômage des jeunes, sans qu’on sache comment), qui, en cas de victoire, aura bien du mal à gérer ses partenaires et qui vise probablement déjà l’après-élection, quand aucun des candidats au pouvoir ne parviendra à gouverner seul. Le Berlusconi d’aujourd’hui et sa survie politique sont, en d’autres termes, le triste signe de l’abyssale crise italienne.

Par Sofia Ventura, professeure associée de science politique à l'université de Bologne.

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