Cambodge : un plébiscite incertain pour Hun Sen

Le Premier ministre du Cambodge, Hun Sen, à l'aéroport de Manille le 11 novembre. Photo Noel Celis. AFP
Le Premier ministre du Cambodge, Hun Sen, à l'aéroport de Manille le 11 novembre. Photo Noel Celis. AFP

Le 29 juillet auront lieu au Cambodge des élections dont la nature et l’enjeu échappent encore à de nombreux observateurs. Il s’agit officiellement d’élections législatives pour renouveler l’Assemblée nationale qui devra soit désigner un nouveau Premier ministre, soit reconduire l’actuel chef de gouvernement, M. Hun Sen, pour un nouveau mandat de cinq ans, selon les dispositions d’une Constitution inspirée de celle de la quatrième République française.

Depuis les législatives précédentes de 2013, l’électorat est divisé en deux forces pratiquement égales : le Parti du peuple cambodgien (PPC) qui soutient M. Hun Sen, au pouvoir depuis trente-trois ans, et l’opposition représentée par le Parti du salut national (PSN) qui veut son départ pour ouvrir la voie à un changement démocratique.

Jusqu’en novembre, les résultats de ces élections étaient très attendus, car pouvant réserver des surprises après la percée spectaculaire réalisée par le PSN (44% des voix) en 2013 où il a failli mettre un terme au règne de M. Hun Sen qui, jusqu’alors, paraissait inamovible. Récemment, aux élections communales de juin 2017, le PSN a une nouvelle fois réalisé d’excellents scores qui lui ont permis de bousculer sérieusement le pouvoir du PPC au niveau local.

La progression du PSN – soutenu par une jeunesse de plus en plus nombreuse et exigeante – a été d’autant plus remarquable que les élections jusqu’ici ont été entachées par de graves fraudes dénoncées par de nombreux observateurs indépendants. Sachant qu’il ne pourra inverser ces tendances profondes en faveur de l’opposition, M. Hun Sen a joué le tout pour le tout, par un coup de force à la fin de 2017, qui s’est traduit par :

• l’arrestation et la détention du président du PSN, M. Kem Sokha, malgré son immunité parlementaire,

• la dissolution du PSN lui-même en tant que seul parti représentant l’opposition parlementaire, sous le chef d’accusation de «trahison»,

• l’abrogation arbitraire du mandat des 55 députés et plus de 5 000 conseillers communaux du PSN et la redistribution de leurs sièges obtenus par le suffrage universel à des représentants du parti au pouvoir ou de partis minuscules qui n’avaient jamais obtenu aucun mandat électif mais qui sont alignés sur les positions du PPC, et enfin, comme autre punition collective,

• les 118 plus hauts responsables du PSN ont été bannis de la politique pendant une période de cinq ans renouvelable et ne pourront pas former un nouveau parti politique qui concurrencerait le PPC de M. Hun Sen.

Ce coup de force de M. Hun Sen, en flagrante violation de la Constitution, signifie l’abandon par le pouvoir en place du processus de démocratisation défini dans les accords de Paris de 1991 et le retour à un système de parti unique malgré la présence des petits partis non représentatifs cités plus haut.

Dans ces conditions, les prochaines élections ne revêtent plus le même sens qu’on pouvait leur donner avant le coup de force de M. Hun Sen puisque le PPC, qui n’a plus à affronter son seul vrai challenger qu’est le PSN, est maintenant sûr de l’emporter par une victoire écrasante avec des scores que l’on ne voit habituellement que dans les pays totalitaires. C’est ce que recherche apparemment M. Hun Sen qui pourra alors présenter les résultats de ces élections comme un plébiscite en sa faveur, plébiscite destiné à rétablir sa légitimité après son coup de force qui a été largement condamné sur le plan national et international.

Se pose alors la question de la légitimité de ces élections et de leur caractère «authentique» comme défini dans les accords de Paris. Dans sa déclaration du 30 avril, le rapporteur des Nations Unies Rhona Smith a été sans équivoque à ce sujet : «Aucune élection ne peut être authentique si le principal parti d’opposition est empêché d’y participer.» Une consultation électorale au niveau national qui n’est pas authentique posera forcément, par la suite, la question de la légitimité du gouvernement qui en sortira.

Face au triomphe programmé du Premier ministre sortant, le PSN appelle au boycott d’une consultation populaire dont il est exclu. Ce boycott militant sera un acte de résistance passive dans un combat non-violent pour la démocratie.

Par conséquent, la ligne qui sépare les partis dans ces «élections» ne passera pas par les bureaux de vote. Pour la voir il faudra suivre les pas de ceux qui iront voter à l’appel du PPC et ceux qui resteront chez eux à l’appel du PSN. Les résultats de ces étranges élections devront se lire à l’aune des taux de participation et d’abstention qui traduiront en fait un «oui» ou un «non», comme dans un plébiscite : les votants – quel que soit le bulletin de vote qu’ils déposeront dans l’urne – diront «oui» à M. Hun Sen et à son coup de force, tandis que les abstentionnistes lui signifieront un «non» en même temps qu’ils exprimeront un soutien silencieux au PSN.

Les manœuvres des deux principaux partis politiques – l’un recommandant une participation massive à un scrutin faussé, l’autre une abstention générale – ont conduit à un renversement de situation : d’une élection qu’il était sûr de gagner haut la main, M. Hun Sen doit maintenant affronter une forme de plébiscite au résultat plus incertain.

Par Sam Rainsy, Cofondateur et ancien président du PSN.

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