Non, l’Union européenne n’est pas impuissante lorsqu’elle s’attelle vraiment à un projet

En France, le débat sur l’Europe et l’euro a tendance à se cristalliser sur les questions budgétaires et fiscales : un budget, un impôt, et les problèmes seront résolus. Cette approche entre en collision avec le point de vue des autres pays, au premier rang desquels la « nouvelle ligue hanséatique » menée par les Pays-Bas, qui prône une version très libérale de l’intégration européenne.

Certes, la crise de la zone euro a démontré le besoin d’un budget de stabilisation, aussi bien pour épauler la Banque centrale européenne que pour soutenir tel ou tel pays durement touché. Cependant, cette entrée en matière ne passe pas auprès de nos partenaires européens. Pour convaincre, il faut probablement changer de méthode.

Un point de départ plus consensuel est le marché unique et ses quatre libertés de circulation – biens, services, travailleurs et capitaux – valeurs réaffirmées à l’occasion de la négociation sur le Brexit. Le marché unique est favorable à la prospérité économique. Mais c’est aussi un bon terrain de jeu pour la fraude fiscale et sociale et, si l’on n’y prend garde, pour la montée des inégalités entre personnes et entre entreprises.

Rôle de l’opinion publique

La fraude et l’évitement fiscal transfrontières en matière de TVA, d’impôt sur les sociétés et d’impôts sur les personnes physiques, représentent au minimum 1 % du PIB dans l’Union européenne. Le premier enjeu est de récupérer cet argent, pour rééquilibrer les finances publiques, et rétablir l’équité devant l’impôt et le consentement qui l’accompagne. Pour cela, il faut améliorer les systèmes d’information partagés et la coopération entre administrations fiscales, mais aussi faire aboutir les projets en cours visant à simplifier la collecte de la TVA et à resserrer les mailles du filet de l’impôt sur le bénéfice des sociétés.

La règle de l’unanimité en matière fiscale rend les choses difficiles mais pas désespérées. En effet, l’opinion publique fait monter la pression, tandis que le contexte international est devenu plus favorable, avec les initiatives de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et la récente réforme fiscale américaine, qui introduit de facto un taux minimal d’imposition sur les sociétés.

L’équivalent en matière sociale est la fraude aux travailleurs détachés. Aujourd’hui, un travailleur détaché polonais (ou espagnol) payé au smic coûte plus cher qu’un smicard français… à condition d’être effectivement déclaré, logé dignement, payé pour ses heures supplémentaires, etc.

L’enjeu du budget

Par ailleurs, l’entreprise qui l’envoie ne doit pas être une coquille vide. Ce n’est donc pas le détachement qui pose problème, mais la fraude qui l’accompagne et qui doit être combattue à l’aide d’un meilleur système d’information et d’une coordination plus efficace entre administrations.

La mise en place de l’Autorité européenne du travail va y contribuer, mais la France pourrait aussi balayer devant sa porte en améliorant son propre dispositif de lutte contre la fraude, comme l’a récemment suggéré la Cour des comptes. Revenons-en maintenant à la question du budget. L’Union européenne a un budget de l’ordre de 1 % du PIB.

Ce budget pose trois problèmes : trop petit, trop peu flexible, pas spécifique à la zone euro. Le premier problème sera difficile à résoudre, du fait notamment du Brexit. Le deuxième est en partie causé par la politique agricole commune, dont le poids dans le budget rend difficile de dégager des moyens pour les nouvelles priorités. Quant au troisième problème, il lui faut passer par le tamis de la subsidiarité : remettons d’abord les politiques budgétaires nationales en ordre de marche, et l’on pourra ensuite discuter d’un étage fédéral. Le sujet est bloqué pour un moment…

Sous son meilleur profil

Un autre angle d’attaque serait non pas le budget, mais le marché unique. Depuis le début de la crise financière, beaucoup d’efforts ont été déployés pour mettre en œuvre un vrai marché unique des financements des entreprises. Mais qu’en est-il du travail ? A l’heure où les entreprises, partout en Europe, se plaignent de la difficulté à recruter certaines compétences, il existe un espace pour une initiative d’« union pour l’emploi » alliant le financement des formations dans les métiers en tension, la fluidification des parcours professionnels (aides à la mobilité, à la reconversion), leur sécurisation (réassurance chômage européenne) et, enfin, une convergence des normes sociales.

Un tel projet nécessiterait un budget, mais dans le but précis d’améliorer le fonctionnement du marché unique du travail et de relever les perspectives de croissance – un objectif plus facile à faire accepter que l’idée de transferts entre Etats membres. Contrairement à une opinion répandue, l’Union européenne n’est pas impuissante lorsqu’elle s’attelle vraiment à un projet – la preuve, l’imposition récente d’une norme européenne unique en matière de protection des données personnelles avec le Règlement général sur la protection des données (le RGPD).

Si l’Europe veut défendre son marché, sa croissance et son haut niveau de protection sociale, elle peut le faire. Encore faut-il présenter le projet sous son meilleur profil.

Agnès Bénassy-Quéré (Professeure à l’Ecole d’économie de Paris université Paris-I-Panthéon-Sorbonne)

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