Réformer l’économie pour réguler la migration

Photographie d'un migrant, juillet 2018. © Olmo Calvo/AFP Photo ©
Photographie d'un migrant, juillet 2018. © Olmo Calvo/AFP Photo ©

Outre la violence et les désastres écologiques, la différence des niveaux de vie entre nations constitue une cause essentielle de la migration. Ces transferts de population bénéficieraient tant aux régions d’origine que de destination. Ils provoquent néanmoins la peur, voire l’hostilité. Dans les pays d’accueil, les structures sociales et culturelles sont remodelées. L’Amérique du Nord s’hispanise; l’Europe occidentale s’islamise progressivement.

Le «droit d’asile» demeure l’apanage exclusif des Etats d’accueil. Aux Etats Unis, Donald Trump a fait de la «tolérance zéro» un pilier de sa présidence. L’afflux massif de migrants en 2015 déstabilisa des gouvernements et mit en cause les structures institutionnelles de l’Union européenne. Réunis en sommet à Salzbourg, les Etats membres se sont montrés incapables de s’entendre. L’ouverture de plateformes de débarquement hors des frontières et l’établissement de centres fermés d’accueil à l’intérieur de celles-ci s’avèrent des décisions irréalisables. Des contacts sont néanmoins pris avec l’Egypte.

Fardeau trop lourd

Les modalités de renvoi des migrants déboutés et l’accroissement des effectifs des garde-côtes et garde-frontières (Frontex) ne font pas l’unanimité. Le «principe de solidarité» est mis à mal, alors que le nombre de migrants a drastiquement diminué. Dans les pays en développement, des manifestations xénophobes existent, mais demeurent circonscrites. On partage mieux lorsque l’on possède moins. Le fardeau paraît cependant trop lourd pour certains Etats. En moins d’une décennie, le Liban et la Jordanie ont accueilli une foule de réfugiés représentant, respectivement, 20% et 15% de leur population totale, qui inclut déjà plusieurs centaines de milliers de Palestiniens. Des bombes à retardement se constituent.

Un Pacte mondial pour une migration sûre, ordonnée et régulée a été adopté à la mi-juillet 2018 par les Nations unies. Ceux qui le rejettent évoquent plutôt l’assistance au développement comme frein aux flux migratoires. Cet argument reflète l’hypocrisie ou l’ignorance. Il y a bientôt 70 ans, Truman proposait de soulager les régions «sous-développées», dont la pauvreté était une menace. Les «sous-développés» sont devenus «en voie de développement», mais la situation n’a guère changé.

Question de «survie»

Dans le dernier quart du XXe siècle, un projet de réforme en profondeur du système économique international avorta. L’instauration d’un Nouvel ordre économique international fut âprement débattue. L’assemblée générale de l’ONU accepta à l’unanimité une déclaration dans ce sens. Elle ne fut jamais appliquée. Willy Brandt produisit en 1980 un rapport intitulé «Nord-Sud, un programme de survie», stigmatisant le déséquilibre des termes de l’échange au bénéfice des Etats industrialisés. La pauvreté des uns, mettait-il en garde, pourrait conduire au chaos économique, à la famine, à la destruction de l’environnement voire au terrorisme, déjà explicitement mentionné. Une réunion de 22 chefs d’Etat se tint au Mexique pour en débattre. François Mitterrand déclara impossible qu’un dixième du monde se développât sans les autres. Il préconisa d’établir des mécanismes de contrôle. La rencontre fut un échec. Les débats tournèrent à la rhétorique; la confrontation Nord-Sud se développa parallèlement au conflit Est-Ouest. A la chute du mur de Berlin, Ronald Reagan, en 1990, parvint à imposer le «consensus de Washington», expression de l’ultralibéralisme, qui n’apporta ni le développement, ni la justice sociale.

Les revendications initiales d’un «nouvel ordre» n’étaient pas absurdes. Certes, leur formulation, étatique et dirigiste, ne conviendrait plus. Les propositions pourraient être remises à jour. Les temps présents, marqués par les tendances antinomiques de mondialisation et de préférence nationale, ne sont certes pas propices. Il est néanmoins urgent de reconsidérer l’une des causes principales des migrations, à savoir le déséquilibre permanent des termes de l’échange, au détriment des peuples producteurs de matières premières ou de biens intermédiaires. Utopie sans doute, mais il y va de la stabilité du monde. Le rapport Brandt parlait même de «survie»!

Marcel A. Boisard, ancien sous-secrétaire général des Nations Unies.

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