Un régime d’exception qui renforce l’Etat de droit et la démocratie

Non, l’état d’urgence n’est contraire ni à l’Etat de droit ni à la démocratie. C’est précisément la raison pour laquelle il doit être inscrit dans la Constitution.

L’état d’urgence, décrété le 14 novembre 2015 et prorogé jusqu’au 26 février, est un régime provisoire et dérogatoire. Cela signifie qu’il n’a pas vocation à durer et qu’il déroge au droit commun, pour des raisons dûment identifiées. Ces dernières résultent aujourd’hui de la loi de 1955, laquelle prévoit également les mesures exceptionnelles qui peuvent être prises pendant la période d’application de l’état d’urgence.

Ainsi, l’état d’urgence n’est pas synonyme d’arbitraire : les raisons justifiant d’y recourir, sa déclaration et sa prorogation, les actes et décisions pris sur son fondement sont tous prévus et encadrés par la loi. De même, cet état étant provisoire, la loi en fixe le terme et il peut être interrompu à tout moment par simple décret en conseil des ministres. Il peut également être prorogé à nouveau, si les raisons qui le justifient n’ont pas disparu.

Le juge, qu’il soit administratif, judiciaire ou constitutionnel, peut être saisi afin de s’assurer que les mesures prises ne contreviennent ni au régime de l’état d’urgence ni aux droits et libertés que la Constitution garantit et, si tel devait être le cas, il peut les annuler. Le juge administratif a ainsi été saisi à de nombreuses reprises ces dernières semaines. Dans le cadre de son « entier contrôle », qu’il exerce alors, il n’a pas hésité à annuler une assignation à résidence (le 22 janvier) ou à renvoyer trois questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel.

L’état d’urgence ne va pas à l’encontre de la démocratie

Or il s’agit là de la définition même de l’Etat de droit : subordonner au droit toutes les décisions des autorités publiques, en prévoyant un contrôle indépendant garantissant le respect de ce principe. C’est ce que font la loi de 1955 et le juge, empêchant que l’état d’urgence porte des atteintes aux droits et libertés qui soient constitutionnellement excessives.

De surcroît, il ne va pas à l’encontre de la démocratie. Son engagement est justifié par la protection de la nation et de sa population, détentrices de la souveraineté. C’est parce qu’il est un régime de crise et d’urgence qu’il doit pouvoir être décrété de façon immédiate, par une décision du pouvoir exécutif. En revanche, sa prorogation au-delà de douze jours est votée par le Parlement, représentant du peuple et de la nation.

L’inscription de l’état d’urgence dans la Constitution ne ferait que renforcer Etat de droit et démocratie. D’une part, cette révision constitutionnelle inscrira cet état provisoire et dérogatoire dans la norme suprême, expression même de la souveraineté nationale. Elle sera votée par les parlementaires, à la majorité des trois cinquièmes, assurant par là l’expression de la volonté souveraine de la nation.

D’autre part, cela permet de constitutionnaliser les motifs pour lesquels l’état d’urgence peut être déclaré, les modalités de sa déclaration, la durée au-delà de laquelle une prorogation législative est requise et, le cas échéant, son contrôle politique et juridictionnel. L’éventualité d’une modification de ce régime au gré des fluctuations des majorités politiques sera alors exclue, la Constitution ne pouvant être modifiée aussi facilement qu’une loi.

Ce n’est donc point bafouer les droits des justiciables que constitutionnaliser l’état d’urgence. C’est, au contraire, les renforcer.

Jean-Philippe Derosier (Professeur de droit constitutionnel à l’université de Rouen et directeur scientifique de la revue "Jurisdoctoria")

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *