Après la COP28, les alarmes des militants du climat restent tout à fait justifiées

Il est bien difficile de juger des résultats de la COP28, qui s’est réunie, début décembre, à Dubaï. Les uns retiennent les engagements marquants et concrets comme le triplement des capacités renouvelables, d’ici à 2030, ou l’engagement d’un certain nombre de compagnies pétrolières à éliminer les fuites de méthane. Les autres relèvent les précautions de langage qui réduisent la portée de l’engagement à sortir graduellement des énergies fossiles, ou l’incapacité des pays du Nord à contribuer significativement à la décarbonation du Sud.

Chaque conférence annuelle donne lieu à ce genre de controverse. L’opinion en retient sans doute que l’impact de ces grand-messes se mesure plus en tonnes de carbone brûlées dans les trajets en avion des participants qu’en émissions évitées par les résolutions adoptées. C’est en tout cas le bilan qu’en tirent les activistes du climat, dont le désenchantement, chaque année plus visible, nourrit la colère.

Les économistes ne sont pas en reste. En 2015, Christian Gollier et Jean Tirole, par exemple, n’étaient pas avares de critiques sur la stratégie des engagements volontaires, dont ils redoutaient qu’elle ne fasse que prolonger l’inaction collective tout en entretenant l’illusion du mouvement (« Negotiating effective institutions against climate change », Economics of Energy & Environmental Policy, septembre 2015). C’est ce qui les conduisait à plaider pour une tarification du carbone.

La raison en était simple : en bonne logique économique, un accord non contraignant comme celui de Paris ne permet pas de résoudre le problème du « passager clandestin ». Réduire les émissions de gaz à effet de serre demande des efforts. Et, effectivement, s’ils ont « collectivement » intérêt à y consentir pour maîtriser le réchauffement, les pays participants ont « individuellement » intérêt à ne rien faire et à laisser aux autres la charge de ces efforts. C’est sur la foi de cette logique que MM. Gollier et Tirole jugeaient avec sévérité l’accord de Paris de décembre 2015, qui n’oblige pas les pays participants à se fixer des objectifs ambitieux, ni surtout à s’y tenir.

Concurrence pour la performance

Huit ans plus tard, on peut mesurer les effets de cet accord. Bien sûr, il n’y a pas lieu d’être satisfaits. Comme le relève le bilan mondial des Nations unies, qui a servi de toile de fond aux négociations de la COP28, nous sommes loin de ce qui est nécessaire pour atteindre la neutralité climatique en 2050 et limiter ainsi la hausse des températures – il faut rappeler que le réchauffement dépend du stock de gaz à effet de serre, et qu’arrêter la hausse des températures suppose de ramener les émissions nettes à zéro. Les alarmes des militants du climat restent tout à fait justifiées.

Les progrès sont cependant loin d’être négligeables : le programme des Nations unies pour l’environnement indique ainsi que, sur la base des politiques en place, les émissions mondiales devraient augmenter de 3 % « seulement » entre 2015 et 2030, au lieu de la projection à 16 % avant l’accord de Paris. S’agissant du secteur énergétique, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que les émissions devraient bientôt commencer à décroître pour retrouver en 2030 le niveau de 2015.

Pourquoi un processus non contraignant semble-t-il produire des effets, alors que la logique économique voudrait qu’il n’en ait aucun ? La première réponse tient à la mécanique mise en œuvre : d’une conférence annuelle à l’autre, les engagements deviennent plus précis, les résultats sont mieux mesurés, les sociétés civiles se font plus pressantes. Sur fond d’angoisse planétaire s’organise ainsi une concurrence pour la performance. Même les gouvernements climatosceptiques (la Pologne en 2018) ou les producteurs de pétrole (les Emirats arabes unis en 2023) se voient contraints de contribuer à l’entreprise commune. Il faut l’impudence d’un Trump ou d’un Bolsonaro pour ne pas jouer le jeu.

L’optimisme est permis

Les engagements de réduction des émissions ont ensuite atteint une crédibilité suffisante pour qu’une fraction significative des entreprises mondiales investisse dans la construction d’une économie décarbonée. S’est ainsi engagée une guerre entre un capitalisme « brun » et un nouveau capitalisme « vert », qui parie sur le développement de technologies propres. Ces initiatives ont été encouragées par les investisseurs qui prennent au sérieux le risque de se retrouver avec des actifs sans valeur.

Le progrès technique a enfin changé de direction. Alors qu’au début du XXIe siècle éoliennes, fermes solaires et voitures électriques apparaissaient comme des utopies sans avenir, ces technologies sont aujourd’hui compétitives ou sur le point de le devenir. Tandis que l’AIE attendait ainsi en 2015 que les véhicules électriques représentent moins de 5 % des immatriculations mondiales en 2030, ses dernières projections prévoit qu’elles dépasseront les 40 %. Pour mettre en mouvement l’innovation, il a suffi d’ouvrir la voie à une économie irréversiblement plus verte.

L’optimisme est donc permis. Mais il faut avoir conscience des limites de l’évolution en cours. Rien n’indique, par exemple, qu’elle puisse changer la donne en matière de rénovation des bâtiments ou qu’elle puisse avoir un impact sensible sur les émissions des élevages bovins. Pour réduire les émissions de ces secteurs, il faudra autre chose. Quant à l’adoption des technologies décarbonées par les pays du Sud, elle bute aujourd’hui sur le financement des investissements nécessaires. C’est à ces obstacles qu’il faut maintenant s’attaquer. Les économistes n’avaient pas complètement tort : pour accomplir la transformation nécessaire, il faudra des prix du carbone et des financements.

Jean Pisani-Ferry est professeur d’économie à Sciences Po Paris, à l’Institut Bruegel, à Bruxelles, et au Peterson Institute for International Economics, à Washington.

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