En 2024, l’Europe, plus que jamais, devra garantir sa sécurité

Les élections européennes du mois de juin prochain se préparent dans un contexte géopolitique incertain, qui menace partout la paix. A l’occasion du Conseil européen des 14 et 15 décembre derniers et face à la guerre déclenchée par la Russie à ses portes, l’Union européenne a pris une décision géostratégique majeure, en engageant les négociations pour que l’Ukraine et la Moldavie la rejoignent.

Certes, les chefs d’Etat et de gouvernement ont échoué à adopter une nouvelle aide en faveur de l’Ukraine, du fait de Viktor Orban : le déblocage d’une partie des fonds gelés en raison de la connivence assumée du leader hongrois avec Vladimir Poutine et de ses multiples manquements aux traités n’aura pas suffi à dégager un accord sur ce point. Mais pour l’heure et non sans mal, l’Europe tient son cap et il faut tout faire pour que cela demeure. Tenir face aux désordres géopolitiques est d’autant plus nécessaire que pour la première fois, depuis les premières élections du Parlement européen au suffrage universel en 1979, le multilatéralisme vacille et la guerre gronde.

Le premier des défis auxquels l’Europe doit faire face concerne donc sa sécurité.

Sur la question du conflit déclenché par l’attaque terroriste du Hamas contre Israël, l’Union européenne, en raison des divisions profondes entre ses Etats membres, a peiné à définir une position unitaire et, dès lors, à promouvoir une parole distincte et audible, au regard des initiatives prises par l’administration Biden et certains pays de la Ligue arabe. A défaut d’une stratégie claire, elle n’est pas parvenue à formuler une contribution pour la paix.

Le risque d’exportation des tensions, nées de la crise au Moyen-Orient, dans certains pays européens, a pu par ailleurs donner le sentiment de gouvernements tétanisés par la crainte de se trouver en prise avec de vives tensions. La perspective d’une solution à deux Etats, telle qu’elle avait été esquissée, dès la déclaration de Venise en 1980, et par François Mitterrand, à l’occasion de son discours lumineux prononcé à la Knesset, en mars 1982, ne semble plus suffire à constituer la feuille de route des pays de l’Union.

Boussole. Certes, le contexte a changé, qui rend le but plus difficilement accessible désormais, mais cela ne suffit pas à expliquer que la France ait perdu sa boussole, au point d’avoir commencé par envisager l’intervention d’ une improbable coalition à Gaza, aux côtés d’Israël, pour finir par tancer les dirigeants de cet Etat, pour s’être engagé seuls dans cette voie. Sur une question aussi grave, et sans négliger l’extrême complexité du contexte, l’Europe affiche son impuissance à jouer le rôle qui la rendrait utile pour la sécurité et la paix dans le monde, mais aussi pour elle-même.

La crise ukrainienne expose directement l’Union européenne aux ambitions de puissance de la Russie. En dépit de l’unité et de la fermeté qu’elle a manifestées en adoptant à l’unanimité douze trains de sanctions et en passant outre les résistances de la Hongrie, elle n’est pas encore parvenue à définir les modalités du renforcement d’une identité européenne et de sécurité au sein de l’Otan. Pourtant, seule cette voie lui permettrait de se protéger plus efficacement des effets, sur la défense de ses intérêts, d’une éventuelle réélection de Donald Trump. Dans cette hypothèse, le lien transatlantique pourrait connaître de nouveaux avatars, qui obligeraient l’Europe à ne plus compter que sur elle-même, pour garantir sa sécurité.

En effet, face à la guerre qui gronde à ses portes, le renforcement des standards d’une coopération opérationnelle renforcée entre les pays du continent européen, membres de l’Otan, mais aussi avec ceux, plus à l’Est de l’Union, qui manifestent désormais leur intérêt pour y adhérer, s’impose comme une urgence. Les tergiversations de la France sur la construction de l’Europe de la défense, à réaliser, selon elle, hors le cadre de l’Otan, deviennent de ce fait dérisoires.

Certes, sur ce sujet, la position française semble avoir évolué. Considérée par le président Macron, en 2019, comme une organisation « en situation de mort cérébrale », l’Otan apparaît désormais, plus raisonnablement, comme la seule enceinte au sein de laquelle la relation franco-allemande parviendra à jouer son rôle d’entraînement. Il faudra pour cela que l’Allemagne accepte des partenariats industriels plus équilibrés que ceux qui ont présidé au débat sur la réalisation du système de combat aérien du futur (Scaf). La France devra, quant à elle, tenir les objectifs de la loi de programmation militaire, qui marque un effort louable d’adaptation de nos armées au contexte nouveau de la guerre de haute intensité, mais aussi à l’évolution du contexte géopolitique, qui nous oblige à renforcer notre position en zone Indopacifique où la tension sino-américaine présente à nous de nouveaux défis.

On ne saurait davantage passer sous silence les enjeux liés à la politique migratoire, dont l’efficacité dépend pour partie, des moyens déployés par l’Union européenne, qu’il s’agisse de la capacité de Frontex à garantir la protection de ses frontières extérieures — car tel est bien, pour partie, son mandat — ou de la mutualisation des informations contenues dans le système d’information Schengen, sans lequel l’Europe ne serait plus en mesure de se protéger du risque terroriste et de l’action des organisations criminelles internationales, qui sont notamment à l’origine de la traite des êtres humains.

Acquis communautaire. Enfin, après les coups d’Etat au Mali, au Niger et au Burkina Faso, qui ont provoqué la dissolution du G5 Sahel, il est essentiel de rebâtir des formes de coopération régionale pour lutter plus efficacement contre la fraude documentaire, les trafics et le terrorisme, qui continuent de menacer la sécurité de l’Union européenne.

La relation de l’Europe à l’acquis communautaire — c’est-à-dire aux valeurs démocratiques, incluant le respect des principes de l’Etat de droit — s’altère peu à peu, au grand bénéfice des formations populistes. Un discours se fait de plus en plus entendre, y compris en France, pointant la responsabilité de la Cour européenne des droits de l’homme et celle de la Cour de justice de l’Union européenne, dans l’impuissance des Etats à défendre leurs intérêts souverains, en matière de sécurité notamment.

La récente décision du Conseil d’Etat, obligeant la France à rapatrier sur son sol un individu qu’elle avait expulsé pour des raisons liées à sa possible dangerosité, au motif qu’elle n’avait pas respecté la Convention européenne des droits de l’homme, a encore ajouté à la confusion. Or, ce n’est pas à l’Etat de droit qu’il convient d’imputer les défauts de l’Europe, telle qu’elle est, mais à l’insuffisante pondération dans ses politiques et ses règles des enjeux de protection et de sécurité, alors qu’il est essentiel aujourd’hui de les adapter à une réalité plus dure et plus éprouvante pour les peuples.

Ne pas se saisir de ces enjeux, au cours des prochains mois, pour sauver l’Europe des risques qui se présentent à elle, reviendrait à la livrer aux forces politiques qui lui sont hostiles. Celles-ci, plutôt que de céder à la tentation de la défaire en la quittant, se proposent désormais de l’investir pour la priver de sa capacité à agir. Attention, le péril est devenu imminent, qui appelle une lucidité et un sursaut.

Bernard Cazeneuve est ancien Premier ministre.

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