Europe : « Ce n’est pas le moment de se désunir ! »

Il y a soixante ans avec le traité de Rome, ou soixante-sept ans après le discours de Robert Schuman, commençait en Europe une entreprise extraordinaire de réconciliation, de coopération et d’union dans laquelle notre pays a joué un rôle important et parfois décisif. Je crois profondément à la pertinence historique de cette entreprise.

D’abord, l’euro a apporté à la France des résultats que notre pays recherchait auparavant sans pouvoir les atteindre. La stabilité des prix à laquelle nos concitoyens ont toujours été très attachés a été plus grande avec l’euro qu’avec notre monnaie nationale : 1,5 % de hausse des prix en moyenne annuelle depuis l’euro, contre plus de 4 % en moyenne annuelle de 1980 à 1999, avant l’euro. Nous cherchions à avoir des taux d’intérêt de marché aussi bas que les taux allemands, sans y parvenir.

Avec l’euro, les écarts de taux avec l’Allemagne ont été pratiquement annulés. Les fluctuations de change intra-européennes avant l’euro pouvaient être considérables. La France réalise 45 % de son commerce extérieur dans la zone euro. Les transactions libellées en euro, hors zone euro, en représentent environ la moitié. Le risque de change a donc disparu ou a été atténué pour les trois quarts de notre commerce extérieur.

Ensuite, nous ne devons pas confondre la frustration de nombreux concitoyens des pays avancés, exprimée en particulier par la montée du nationalisme et du protectionnisme, avec un rejet de l’Europe. Les Etats-Unis ne sont pas en Europe et le rejet de l’Europe n’explique en rien l’élection de M. Trump. Le Royaume-Uni n’est ni dans la zone euro ni dans l’accord de Schengen : on y observe pourtant une frustration proche de celle des Etats-Unis. Je crois qu’il faut prendre très au sérieux l’anxiété de nombre de nos concitoyens dans notre pays comme dans tous les pays avancés.

Soutien populaire

La croissance rapide des pays émergents, alliée aux avancées de la technologie, oblige à des adaptations difficiles et menace d’obsolescence les qualifications anciennes. Le discours antieuropéen interprète ces frustrations comme étant essentiellement antieuro. Ce n’est pas le cas, même si une anxiété réelle appelle évidemment des réponses courageuses au niveau national comme au niveau européen.

Enfin, ce même discours antieuropéen présente la zone euro comme étant au bord du ­démantèlement et l’Union européenne menacée d’évaporation. C’est inexact. En premier lieu, dans la pire crise financière internationale depuis 1945, la crédibilité de l’euro, en tant que monnaie, n’a jamais été remise en question.

En second lieu, la zone euro a fait preuve d’une résilience remarquable. Nous étions quinze pays membres au moment du déclenchement de la crise ; les quinze sont tous restés et quatre nouveaux pays sont entrés, en pleine crise.

En troisième lieu, le soutien populaire des Européens à l’euro n’a jamais manqué. Dans la dernière enquête de l’Eurobaromètre, 70 % d’entre eux approuvent la monnaie unique, chiffre le plus important atteint avant la crise (68 % en France). Et si la Grèce est restée, c’est qu’une majorité considérable des Grecs voulait rester.

Tout pousse la France à poursuivre la stratégie de réconciliation, d’amitié et d’union des Européens qu’elle a impulsée. Cela ne veut cependant pas dire que nous pouvons prendre à la légère les critiques récurrentes qui se manifestent en France, comme dans d’autres pays.

Modérer les coûts de production

En France, nous sommes responsables de notre niveau de chômage, en particulier celui des jeunes, inacceptable depuis des dizaines d’années. C’était le cas avant l’euro. C’est toujours le cas avec l’euro, alors même que plusieurs pays de la zone euro sont au plein-emploi. Il faut diminuer une dépense publique beaucoup plus élevée que celle de nos partenaires, rendre l’économie plus souple et adaptable, pratiquer la modération générale des coûts de production jusqu’à ce que nous soyons au plein-emploi. L’euro ne peut pas compenser à lui seul les anomalies de notre gestion nationale.

En Europe aussi, il y a du pain sur la planche. Les Européens se reposent trop sur leur Banque centrale, qui fait très bien son travail mais ne peut pas faire celui de tout le monde ! La zone euro, elle-même, doit être mieux gouvernée économiquement. Il faut appliquer sérieusement les règles actuelles, en matière budgétaire en particulier ; il faut un exécutif plus fort et un ministre des finances de la zone euro ; il faut renforcer la légitimité démocratique des décisions en donnant le dernier mot, en cas de désaccord, aux Parlements européen et nationaux.

Les Européens ont plus de raisons de s’unir qu’ils n’en avaient il y a soixante ans. Les Etats-Unis ne sont plus le seul grand marché unique avec une monnaie unique : la Chine, l’Inde, le Mexique et le Brésil sont dans ce cas. Les Européens ont d’autant plus de raisons de s’unir en matière de sécurité et de défense que l’attitude des Etats-Unis est ambiguë. Ce n’est pas le moment de se désunir et de jouer les Curiaces !

Jean-Claude Trichet, ancien président de la Banque centrale européenne (BCE).

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