Reconnaître un Etat palestinien, maintenant

Le 18 avril, au Conseil de sécurité des Nations unies, les Etats-Unis ont mis leur veto à un projet de résolution recommandant à l’Assemblée générale d’admettre l’Etat de Palestine comme membre à part entière de l’organisation. Pour l’heure, la Palestine a un statut d’Etat observateur non membre, qui lui a été accordé par l’Assemblée générale des Nations unies en 2012. Pour devenir membre à part entière de l’ONU, la demande doit être approuvée par le Conseil de sécurité, puis par au moins les deux tiers de l’Assemblée générale.

Au Conseil de sécurité, les Etats-Unis n’eurent guère d’alliés : seuls le Royaume-Uni et la Suisse se sont abstenus, tous les autres membres du Conseil, soit douze sur quinze, ont voté pour. Les Américains ont dû se contenter, maigre consolation, de l’approbation enthousiaste de leur turbulent allié israélien. Le ministre des affaires étrangères, Israël Katz, a exulté : « La proposition honteuse a été rejetée. Le terrorisme ne sera pas récompensé. » Fortes paroles. Comme chacun sait, le Hamas est grand partisan d’un Etat palestinien indépendant aux côtés de l’Etat d’Israël. Quant à son représentant à l’ONU, l’inénarrable Gilad Erdan, il avait pris soin d’avertir à l’avance le Conseil qu’« approuver la résolution nuirait aux perspectives de dialogue avec les Palestiniens à l’avenir ». Là encore, comme chacun sait, le gouvernement Nétanyahou brûle d’envie de dialoguer avec l’Autorité palestinienne.

Dans un exercice de haute voltige diplomatique, Robert Wood, le représentant américain, a expliqué que son vote « ne reflet[ait] point une opposition à la création d’un Etat palestinien », puisque « les Etats-Unis continuent de soutenir fermement une solution à deux Etats ». Que reflète-t-il alors ? Eh bien, « la reconnaissance du fait qu’elle ne viendra que de négociations directes entre les parties ». Un porte-parole du département d’Etat a ajouté son grain de sel : « Des actions prématurées (…), même avec les meilleures intentions, ne permettront pas au peuple palestinien de devenir un Etat… »

La palme de la contorsion hypocrite revient sans doute à Barbara Woodward, l’ambassadrice (abstentionniste) du Royaume-Uni à l’ONU : « Nous pensons qu’une telle reconnaissance de l’Etat palestinien ne devrait pas intervenir au début d’un nouveau processus, mais elle ne doit pas nécessairement se situer à la toute fin du processus. Nous devons commencer par régler la crise immédiate à Gaza. » Quel rapport ?

Sans même évoquer le simple souci de cohérence intellectuelle – pourquoi, grands dieux, voter contre ses propres positions ? –, le veto américain est une double faute, morale et diplomatique. Sur le plan des principes, conditionner la reconnaissance d’un Etat palestinien à la négociation avec Israël, donc à son accord, n’a simplement pas de sens. Le droit naturel des peuples à l’autodétermination n’est pas un don gracieux de leurs adversaires.

A juste titre, la communauté juive de Palestine n’a pas attendu le bon vouloir des Arabes pour proclamer l’Etat d’Israël, sinon elle l’attendrait toujours. Rappelons que ce fut une résolution de l’ONU qui, le 27 novembre 1947, porta l’Etat juif sur les fonts baptismaux. Un Etat arabe, comme on disait à l’époque, aurait dû naître le même jour. Les Arabes n’en ont pas voulu, et, de ce refus primordial, nous n’avons cessé tous de payer le prix. Mais cela ne veut pas dire qu’il faille continuer à en souffrir les conséquences jusqu’à l’arrivée du messie.

Ce fut l’un des péchés originels du processus d’Oslo que d’avoir négligé ce principe. Se sont trouvés face à face Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), soit un Etat constitué et une organisation au statut incertain, par définition inférieur. Un Etat palestinien proclamé dès le début du processus aurait levé d’emblée l’ambiguïté dont a été entaché l’ensemble du processus, conféré à la partie palestinienne la dignité d’un statut au moins symboliquement égal, et forcé Yasser Arafat d’abandonner pour de bon l’uniforme du chef de guerre « révolutionnaire » au profit du costume du chef d’Etat.

Du point de vue diplomatique, le veto américain met les Etats-Unis en porte-à-faux, plante un clou de plus dans le cercueil de l’« honnête courtier » qu’ils prétendent être, et les isole sur la scène internationale dans une affaire qui y fait la quasi-unanimité. Une belle occasion fut ainsi manquée de remettre la diplomatie sur les rails, et de montrer aux Israéliens que leur principal allié, aligné sur le consensus international, « means business » – comme on dit en américain –, autrement dit prend au sérieux sa propre politique. Bien sûr, une fois la souveraineté formelle acquise, il resterait à négocier ses contours et son contenu : ses frontières, l’ampleur de ses forces armées, la nature de ses relations avec son voisin… Mais le principe de la solution à deux Etats eût été fermement établi.

Il faut le dire et le redire, il n’y en a pas d’autre. L’alternative est sinistre : l’Etat unitaire, « du fleuve à la mer », façon Hamas, ou, ce qui est plus probable, à la sauce messianique juive. Autrement dit, un Etat « judenrein » [sans juifs] ou un Etat d’apartheid. L’assaut pogromiste du 7 octobre 2023 préfigure le premier ; les déclarations quotidiennes des chefs des partis fondamentalistes de la coalition de Benyamin Nétanyahou donnent une idée précise du second.

Que faut-il de plus pour convaincre les amis autoproclamés d’Israël d’agir enfin ? Que faut-il de plus pour convaincre la France de reprendre le flambeau des mains débiles des Américains, joindre le geste à la parole et reconnaître enfin un Etat palestinien, maintenant ?

Elie Barnavi a été l’ambassadeur d’Israël en France de 2000 à 2002. Historien et essayiste, il est l’auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels « Israël-Palestine, une guerre de religion ? » (Bayard, 2006), « Israël. Un portrait historique » (Flammarion, 2015) et « Dix thèses sur la guerre » (Flammarion, 2014).

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