Réfugiés syriens: le flux doit être tari à la source

Migrants aux environs d’un point de rassemblement en Hongrie. (Reuters)
Migrants aux environs d’un point de rassemblement en Hongrie. (Reuters)

Les déplacements de populations sont aussi anciens que l’humanité. Les premières tentatives de codification juridique d’un statut datent de la fin de la Premières Guerre mondiale, à l’initiative du Norvégien Nansen, sous l’égide de la Société des Nations, dès 1922. Une convention intergouvernementale fut signée en 1933, par cinq Etats européens. Elle reconnaissait la validité d’un titre de voyage délivré temporairement à des personnes déplacées, leur permettant de voyager dans et hors du pays de séjour. Les principaux bénéficiaires de­vaient être les Russes blancs et les Arméniens, fuyant les révolutions bolchevique et kémaliste. Ces premières dispositions furent complétées, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, par la Convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève en 1951. C’est l’instrument juridique de référence actuelle, mais sans doute l’un des moins bien conçus et le plus imprécis que l’on puisse consulter. Il avait tenté d’aménager les plus petits dénominateurs communs!

Selon l’article 2, un réfugié est une personne qui «… Craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays…». Les populations fuyant les conflits armés ne jouissent donc pas, formellement, de ce statut. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a développé une série de guides de procédure les concernant. En dernière analyse, ce sont les Etats de résidence qui décident d’accorder, ou non, les autorisations de séjour. Une fois le statut de réfugié obtenu, la personne ne peut plus être renvoyée, alors que le «migrant» peut l’être!

Au flou juridique de la Convention de Genève s’ajoute une confusion institutionnelle. En 1951 également, un Comité intergouvernemental pour les migrations européennes (CIME) fut établi à Genève. Son mandat était de prêter assistance aux quelque 10 millions de personnes désireuses de quitter l’Allemagne et les pays dévastés. Leurs motifs étaient économiques, sociaux ou, pour les Juifs survivants du génocide, psychologiques. L’organisation connut une rapide croissance et devint, en 1989, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), instance intergouvernementale, hors du système des Nations unies, comptant plus de 150 Etats membres et intervenant dans une centaine de pays. Elle prête assistance aux migrants, victimes de catastrophes naturelles, humaines ou écologiques, ainsi qu’à ceux tentant d’échapper à la répression, à la persécution et aux conflits. Contrairement au HCR, l’OIM n’est pas habilitée à accorder une protection juridique aux personnes déplacées.

La troisième catégorie de migrations forcées est étiquetée «déplacés de l’intérieur». Ils ont fui leur domicile, à cause des violences ou de la misère, sans pour autant quitter les frontières nationales. On les compte par millions, pour le seul Moyen-Orient arabe, en Irak, en Libye, en Somalie, en Syrie ou encore au Yémen. Ils jouissent d’occasionnels secours urgents d’institutions humanitaires, dont le Programme alimentaire mondial des Nations unies (PAM) et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR).

Dans la crise actuelle, les règles du droit international sont obsolètes et les institutions intergouvernementales, privées de moyens, dépassées. La distinction entre réfugiés et migrants est désuète, permettant seulement aux politiciens d’ergoter. Les masses en route vers l’Europe fuient la violence sous de multiples formes et se ruent vers l’espoir d’une vie acceptable. Les gens sont prêts à tous les sacrifices, y compris le suprême. Qui pourrait les arrêter et, ensuite, les répartir selon des catégories légales? C’est absurde. Les gouvernements et les peuples européens montrent une certaine compassion à l’égard de ceux qui ont perdu la vie. Incohérente et désemparée, l’Union européenne est incapable d’agir. Des relents xénophobes croîtront inéluctablement dans les opinions publiques, contre l’«invasion».

Ces foules de pauvres hères, traînant leurs piteux bagages sur les routes de l’Europe, ne représentent qu’une infime partie de ceux qui ont perdu leur toit. Ils sont issus de la bonne bourgeoisie de leur pays perdu, les mieux instruits et les plus aisés, puisqu’ils ont pu constituer le pécule nécessaire à leur odyssée.

L’essentiel du problème est pire et se situe hors d’Europe. Les Syriens réfugiés sont, à eux seuls, plus de 4 millions, dont près de la moitié en Turquie. Au Liban, ils sont plus d’un million, soit le quart de la population. Majoritairement sunnites, ils déséquilibrent la fragile balance confessionnelle. L’afflux de quelques milliers de réfugiés palestiniens dans les années 1970 avait conduit à une guerre de quinze ans, faisant près de 200 000 morts. Qu’adviendra-t-il dans les brèves années à venir? La Jordanie, vulnérable, accueille 800 000 personnes. En Libye, le nombre de migrants potentiels n’est pas connu, mais doit se compter en dizaines de milliers. Partout, ce sont les plus démunis qui restent, sans espoir, si ce n’est peut-être la violence terroriste, sous des oripeaux eschatologiques.

L’Occident doit faire un examen de conscience et tenter de traiter le mal par la racine. Il en est la cause. L’intervention armée illégale en Irak, en 2003, a bouleversé des équilibres tendus et ravivé l’hostilité entre sunnites et chiites. Les coupables auraient mérité de comparaître devant le Tribunal pénal international! L’interprétation honteusement trompeuse de l’«obligation de protéger» a conduit à l’assassinat de Kadhafi et à l’instauration d’une anarchie sanglante en Libye. La volonté de changer le régime en Syrie a entraîné la guerre civile que l’on sait. Ces conséquences étaient prévisibles et annoncées. Des tyrans sont tombés, mais l’ingérence étrangère et le chaos ultérieur ont induit la fuite dramatique des populations.

L’afflux de migrants érythréens, afghans ou autres peut être géré. La solution aux problèmes arabes passe, d’abord, par un véritable effort pour la paix. Le dialogue avec toutes les parties doit être rétabli, y compris avec Assad. La guerre contre l’Etat islamique – qui gagne et non pas perd du terrain – se poursuivra. Elle coûterait 20 millions de dollars par jour, dont la moitié couverte par les Américains. Un montant équivalent pourrait être consacré aux tâches humanitaires. Des sommes colossales sont dépensées en Europe pour l’accueil (ou le refoulement) des migrants et pour la sécurité. Les budgets spécifiques cumulés des HCR, OIM, CICR et autres institutions philanthropiques approcheraient les 50 milliards, etc. Ces sommes devraient permettre, à travers une efficace coordination, d’installer décemment et temporairement les réfugiés, sur le territoire syrien frontalier, en créant, si nécessaire par la force, une zone d’exclusion protégée. Le flux doit être tari à la source, avec l’espoir d’un retour.

Pour Marcel A. Boisard, ancien sous-secrétaire général des Nations unies.

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