Sur le Haut-Karabakh, un silence qui fait honte

1er octobre 2023 au point de contrôle de Latchine. — © EMMANUEL DUNAND / AFP
1er octobre 2023 au point de contrôle de Latchine. — © EMMANUEL DUNAND / AFP

L’Azerbaïdjan chante victoire, crimes et mensonges à l’appui. Pays voisin de la plus petite république indépendante de l’ex-URSS, la pétrodictature d’Ilham Aliyev persiste dans l’inversion accusatoire. Un acte terroriste fictif lui a suffi pour répandre la terreur en menant une guerre éclair le 19 septembre dernier. Riche de ses ressources en hydrocarbures, elle a investi des centaines de millions de dollars dans le lobbying international et dans la diplomatie frelatée dite du caviar. Grâce au soutien direct et indirect des grandes puissances, de la Russie aux Etats-Unis en passant par Israël et la Turquie, elle jouit d’une suprême impunité aux dépens d’une morale fossilisée. Son diktat nationaliste, en perpétuant le déni du génocide de 1915 par l’Etat turc, ambitionne d’effacer de la carte son voisin arménien. Tout ça était su.

Le féroce despote de Bakou vient de faire main basse sur le Haut-Karabakh affamé par neuf mois d’un blocus inhumain. Mais cela fait seulement deux semaines que les médias traitent le sujet comme il se doit et rapportent l’assaut final infamant. Avant, la situation méritait juste un entrefilet – chien écrasé, ou Arménien décapité.

Pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps? Pourquoi pas de holà, d’office et d’autorité, quand il était encore temps? Pourquoi les médias se sont-ils faits si discrets depuis la guerre des 44 jours, il y a trois ans? Pourquoi se sont-ils alignés sur les positions intéressées des démocraties libérales? Les médias ont effectivement passé sous silence le refus d’Ilham Aliyev d’obtempérer à l’ arrêt du 7 décembre 2021 de la Cour internationale de justice à son encontre. Pourquoi tant de retenue et d’euphémismes dans ce métier d’impartialité? En d’autres termes, il aura fallu le coup fatal azéri provoquant l’exode de toute la population du Haut-Karabakh pour que l’éthique et l’information se mettent enfin à circuler, dès lors que les dés de l’enfer étaient jetés.

Nonobstant l’histoire millénaire authentifiant la localisation des Arméniens sur ce territoire, le feu bouté par Staline au Sud-Caucase a désormais pris une ampleur civilisationnelle. Au-delà des enjeux géopolitiques et humanitaires, c’est une question psychologique qui nous est posée. Comment les médias peuvent-ils justifier pareille séquence allant d’un silence immensément long à l’éclat soudain d’une seule vérité, l’opération génocidaire? Tant que l’issue du conflit restait incertaine, je suis enclin à penser que sa complexité faisait de la presse autant que des gouvernements des frileux, privilégiant le silence complice à la dénonciation. Aujourd’hui enfin, 5 octobre 2023, le Parlement européen dénonce à une très large majorité une épuration ethnique au Haut-Karabakh et veut des sanctions ciblées contre l’Azerbaïdjan. Paradoxalement, tout se passe au niveau de la presse et des eurodéputés comme s’il fallait que ce soit trop tard pour pouvoir agir.

Avouons que penser l’agression et parler de souffrances sans pouvoir agir remue n’importe quel être sensible. Que l’on soit par exemple politicien ou chirurgien, normalement doté d’un minimum d’empathie, l’émotion trace son chemin souterrain. Quand cette sensibilité proprement humaine bute sur l’impuissance, c’est la culpabilité qui vient jouer les trublions jusque dans la sphère des rédacteurs de l’info. Mais voilà, aujourd’hui les jeux sont faits, la guerre est gagnée ou perdue et l’impulsion à agir s’avère du coup obsolète. Les professionnels du journalisme écrit et audiovisuel tout autant que nos élus se voient affranchis de l’inhibition coupable. Désormais, ils peuvent dire le drame arménien, le scandale de l’épuration ethnique et aller même jusqu’à nommer l’agresseur. Il n’y a pour ainsi dire plus d’enjeux que celui des sentiments de peur, de colère et de honte. Au final, le constat porte sur le démantèlement du droit international et le déclin des valeurs démocratiques. Que l’information franche et objective survive.

Berdj Papazian, psychiatre, psychanalyste.

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