Un accord entre l'Argentine et ses créanciers est possible

Depuis 2013, la Cour suprême américaine a entamé une procédure afin de contraindre l'Argentine à rembourser les « fonds vautours », NML Capital et Aurelius Management. Le jugement rendu le 16 juin a donné raison à ces fonds et l'Argentine doit les rembourser, pour un montant total de 1,5 milliard de dollars (1,1 milliard d'euros).

Des négociations ont alors débuté afin de trouver un compromis pour que le pays évite le défaut de paiement. A ce jour, aucun accord n'a été trouvé, et l'Etat argentin compte bien procéder à une nouvelle tentative pour trouver une solution, tout en remboursant ses autres créanciers.

Afin de mieux comprendre quels sont les enjeux autour de ce litige entre l'Etat argentin et ces fonds, un retour en arrière s'impose.

Au cours des années 1990, l'économie argentine se « dollarise » fortement et le gouvernement émet des obligations en devises étrangères, notamment en dollars américains. En 2001, en pleine crise économique, Buenos Aires se retrouve en défaut de paiement et entre dans un cycle de négociations avec ses créanciers privés (qui détiennent près de 50 % de la dette totale du pays) afin de restructurer sa dette.

Ces négociations aboutissent en 2005 : 93 % du montant total fait l'objet d'un Past Due Interest (PDI, défaut partiel sur les créances auprès du secteur privé), 90 milliards de dollars sont restructurés avec une forte décote de 70 %, et des clauses sont instaurées pour rendre intéressant, ultérieurement, un échange d'obligations avec les créanciers.

À PRIX CASSÉS

Entre 2005 et 2010, des fonds d'investissement spécialisés entre autres dans les titres obligataires, rachètent à des créanciers ayant refusé la restructuration de 2005 (donc parmi les 7 % restant) leurs titres de dette sur l'Argentine. NML Capital et Aurelius Management, connus pour être les fameux « fonds vautours », entrent alors en possession de ces titres (libellés en dollars américains), en les rachetant à prix cassés à des investisseurs en cessation de paiement.

Ils se retournent ensuite contre l'Argentine pour en exiger le remboursement, par l'intervention de la justice américaine qui est en mesure d'agir, car la dette détenue par ces fonds est libellée en dollars et relève donc de sa juridiction.

Depuis le 16 juin et la décision de la Cour suprême des Etats-Unis, l'Argentine se trouve par conséquent dans l'obligation de rembourser les « fonds vautours », ou doit trouver un accord avec eux. Buenos Aires a proposé à plusieurs reprises à ces fonds de procéder à un échange d'obligations, mais ils ont toujours refusé.

Parallèlement, l'Argentine doit aussi rembourser les créanciers dont la dette a été restructurée. Le gouvernement comptait respecter ses engagements d'ici à la fin du mois de juin. Mais l'Etat argentin s'est vu dans l'impossibilité d'honorer un remboursement de 539 millions de dollars à ces créanciers, car la Cour suprême américaine a bloqué dans le même temps tous les remboursements tant que les « fonds vautours » n'ont pas reçu prioritairement les 1,5 milliard de dollars exigés.

Le 30 juillet, l'Argentine a été officiellement déclarée par l'agence de notation S&P en « défaut sélectif » – la partie de la dette non libellée en devises étrangères n'étant pas concernée par ce défaut, sa note est restée à CCC+ – puisqu'aucun accord n'a été trouvé avec les « fonds vautours ».

SOUVERAINETÉ MISE À MAL

De plus, depuis la décision de la Cour suprême, l'Etat argentin se trouve exposé aux réclamations potentielles des autres créanciers, parmi les 7 % non concernés par la restructuration, pour un montant de 15 milliards de dollars. Or les réserves en dollars détenues par la Banque centrale argentine s'élèvent à 28,5 milliards, que le pays n'entend pas sacrifier.

Il est peu probable que l'Argentine trouve un compromis avec les « fonds vautours » en 2014, notamment en raison d'une des clauses signées en 2005 au cours du PDI. La clause « Right Upon Future Offers » (RUFO, droit concernant les offres futures) indique en effet que l'Etat argentin ne peut pas faire une offre à des fonds spéculatifs non concernés par la restructuration sans faire une offre similaire aux créanciers possédant des obligations restructurées.

Cette clause expire le 31 décembre 2014, et l'Argentine n'a donc aucun intérêt à proposer un arrangement particulièrement intéressant, autre que l'échange d'obligations sous certaines conditions, avant 2015. Sans quoi elle serait conduite à renégocier avec la majorité de ces créanciers, ce qui aurait pour effet de peser significativement sur ses finances publiques et de retarder son retour sur les marchés, espéré pour 2015.

L'Argentine, dont la souveraineté est mise à mal par la décision de justice américaine en faveur des « fonds vautours », est certes loin d'avoir trouvé un compromis dans ce litige. Mais elle compte « détourner » la décision de la Cour suprême par une proposition de loi, qui consisterait à échanger la partie de sa dette émise en devises étrangères contre de nouvelles obligations émises en monnaie locale, par conséquent régies par le droit argentin. Dès lors, les créanciers détenteurs de dettes en dollars et ayant accepté la restructuration pourraient se faire rembourser.

MARCHÉS RELATIVEMENT CONFIANTS

Les marchés restent quant à eux relativement confiants sur l'issue de ce différend. Même s'ils n'écartent pas la possibilité d'un défaut argentin, Buenos Aires ne subit pas une pression forte de leur part. L'utilisation des Credit Default Swaps (CDS, produits dérivés sur le risque de défaut) sur des obligations argentines à échéance 2033, qui ont été émises dans le cadre de la restructuration, en est l'illustration.

Malgré une hausse de la volatilité des taux sur les CDS après le 16 juin, ceux-ci sont revenus à un niveau de 1 500 points de base contre un pic de 2 800 points de base en février et le 17 juin.

Le Merval, principal indice du marché d'actions argentin, a également enregistré une hausse de sa volatilité après la décision américaine. Aucune baisse significative ou durable n'a été enregistrée depuis le 30 juillet, ce qui atteste que les marchés, sous réserve de plus d'informations, restent confiants.

Le litige opposant l'Argentine aux « fonds vautours » est loin d'être entièrement résolu, malgré la décision de la Cour suprême des Etats-Unis. Mais Buenos Aires, bien que mis à mal depuis qu'il est officiellement en défaut de paiement, multiplie les tentatives pour trouver une issue favorable.

La remise en cause de la souveraineté de l'Argentine dans le litige avec les fonds NML Capital et Aurelius Mangament envoie un signal assez inquiétant, et il faut espérer que ce contentieux ne fasse pas jurisprudence dans des cas de restructurations futures en dissuadant des créanciers de prendre part à des PDI en cas d'extrême urgence.

Victor Lequillerier, économiste.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *