Xi Jinping ressemble bien plus à Staline qu’à Mao Zedong

A la veille de son accession au poste de secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC) [en 2012], les libéraux mettaient tous leurs espoirs en Xi Jinping. En effet, pour la première fois, un membre de la génération des jeunes instruits, le fils d’un dirigeant réprimé par Mao Zedong en 1962, accédait au pouvoir suprême.

Dans une interview donnée au journal Zhonghua er nü en 2000, celui qui n’était alors que le gouverneur de la province du Fujian racontait ses persécutions pendant la Révolution culturelle : « J’avais été expulsé du lycée pour enfants de hauts cadres du Parti et attrapé par des gardes rouges (…) qui m’accusèrent de toutes sortes de mauvaises choses. On me qualifia de chef de gang parce que j’étais têtu et parce que je disais que je n’avais rien fait de mal. » Envoyé à la campagne, il s’enfuit à Pékin, puis y fut de nouveau renvoyé. Fils de contre-révolutionnaire, il a connu les souffrances des familles de « catégories noires » ; sa demi-sœur s’est suicidée pour échapper aux persécutions. Son père, ferme partisan de l’ouverture, aurait condamné l’intervention de l’armée contre le peuple en 1989.

De là la bonne image dont il jouissait dans les milieux libéraux. Ajoutons que l’une de ses premières actions consista à supprimer la « rééducation par le travail », que demandaient nombre d’intellectuels progressistes.

Quelle ne fut donc pas leur surprise dans les mois qui suivirent son installation au pouvoir ! Un peu à la manière de Staline, Xi Jinping avait été promu parce qu’il semblait inoffensif et semblait ne guère avoir de caractère. Chaque faction pensait pouvoir facilement le manipuler et éviter un affrontement fratricide. C’était une erreur : de fait, Xi avait compris que pour arriver au sommet de l’appareil il fallait éviter d’affirmer des opinions claires. Mais, une fois nommé secrétaire général, il n’hésita pas à s’affirmer.

S’inspira-t-il de la politique populiste du chef de la municipalité de Chongqing, Bo Xilai? En lançant une grande campagne contre la corruption (da hei) et en chantant la vocation révolutionnaire du PCC (avec les chansons « rouges » chang hong), ce dernier avait, en effet, acquis une grande popularité.

Ainsi, tandis que les libéraux pensaient que Xi Jinping suivrait la politique de Wang Yang – le secrétaire du Guangdong qui avait négocié avec des paysans révoltés et tolérait l’existence d’ONG –, c’est bien plutôt de Bo Xilai qu’il semble s’être inspiré. Et, depuis, il est même allé beaucoup plus loin que Bo : pendant son premier mandat, il a notamment lancé une campagne contre la corruption qui lui a permis de se débarrasser de ses éventuels rivaux en même temps que des dirigeants qui avaient provoqué le discrédit du PCC dans la population en raison de leur enrichissement. Il a confié la direction de ce combat à la Commission centrale d’inspection de la discipline du Parti, devenue une véritable Tchéka, qui ne se gêne pas pour arrêter de hauts dirigeants et les enfermer sans procès.

Pour renforcer son contrôle sur le PCC, il a créé d’innombrables commissions qui chapeautaient ses institutions et qu’il présidait, marginalisant le gouvernement dirigé par Li Keqiang et allant à l’encontre de la politique de Deng Xiaoping, qui insistait sur la division du travail entre le parti et le gouvernement pour éviter les errements de la Révolution culturelle. Aujourd’hui, les organes du gouvernement n’ont pratiquement plus de pouvoir, et ce sont les comités du Parti qui élaborent et mettent en œuvre les politiques décidées par le nouveau timonier.

Enfin, s’émancipant des directives de Deng Xiaoping, qui avait souhaité limiter le nombre de mandats du secrétaire général à deux afin d’éviter le retour d’un Grand Timonier, il s’est accordé un troisième mandat au 20e Congrès du PCC, en 2022. Le culte de la personnalité qu’il a mis en œuvre est inédit depuis Mao.

Il s’est également attaqué au mouvement des droits civiques en organisant, en juillet 2015, une rafle d’avocats, dont bon nombre ont été condamnés à de lourdes peines de prison. En 2016, une loi sur les ONG a pratiquement interdit à ces dernières de recevoir des fonds de l’étranger, et leur a imposé de telles conditions juridiques pour s’enregistrer qu’il n’en reste presque plus. Les grands entrepreneurs privés comme Jack Ma, le fondateur d’Alibaba (prédécesseur d’Amazon), ont été intimidés et sommés d’exprimer leur soutien au PCC et au nouveau chef. Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi, les entreprises privées doivent d’ailleurs comporter une cellule du PCC ; dans les entreprises d’Etat, le secrétaire du comité du Parti exerce à nouveau l’essentiel du pouvoir, marginalisant le directeur. Des centres d’étude de la pensée de Xi Jinping ont été créés dans les universités.

Ce pouvoir arbitraire s’est enfin manifesté le plus clairement pendant la période du Covid-19, provoquant de sérieuses protestations en novembre 2022 : n’en pouvant plus de l’omniprésence du Parti, des citoyens sont descendus dans les rues des grandes villes en brandissant des feuilles blanches pour dénoncer la censure impitoyable qui empêche toute expression libre, tandis que certains revendiquaient leurs droits et demandaient la démission du numéro un chinois.

On compare souvent Xi Jinping à Mao Zedong. De fait, Xi ressemble bien plus à Staline qu’au Grand Timonier : quand Mao faisait appel aux « masses » pour éliminer ses rivaux sans craindre de provoquer le chaos, Xi établit son contrôle par les voix bureaucratiques, s’appuie sur les institutions et sur une surveillance de la population renforcée par les nouvelles technologies. Comme Staline, il n’hésite pas à réprimer l’usage des langues des minorités nationales en envoyant des centaines de milliers de suspects dans des camps de rééducation (pardon, de formation professionnelle) et en réprimant l’enseignement de leur langue, sans parler de leur pratique religieuse. Xi est même parvenu à provoquer des manifestations nationalistes dans une Mongolie-Intérieure qui n’avait pas connu de révoltes depuis 1949.

Aujourd’hui, la Chine semble calme. Pourtant, l’épisode du Covid-19 a conduit une grande partie des citoyens à perdre toute confiance dans les capacités du Parti et du nouveau timonier à résoudre les défis posés au pays.

Le renforcement du contrôle du PCC sur la société, en éliminant tout espace d’autonomie sociale et en instaurant une sorte de fascisme à la chinoise fondé sur le nationalisme et l’exaltation d’une culture traditionnelle rêvée, ne saurait suffire à calmer les attentes d’une population qui, quoi qu’on en pense, aspire à parler librement et à vivre en paix.

Jean-Philippe Béja est sinologue et politologue, directeur de recherche émérite au CNRS-CERI/Sciences Po.

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