L'«ubérisation» du monde n’est pas une fatalité

Le secteur des transports est suspendu à une décision prochaine de la Cour de justice de l’Union européenne sur le cas Uber. Ecartons tout de suite l’évidence: cette multinationale présente dans les 300 plus grandes villes du monde et valorisée à plus de 60 milliards d’euros ne court aucun risque de banqueroute, quelle que soit la décision finale de la CJUE.

Ce n’est pas le sort d’Uber qui se joue dans les prochains mois (le jugement est attendu en avril 2017), mais bien celui de l'«ubérisation», c’est-à-dire de la tendance de certaines plateformes de services à se faire passer pour des entreprises de l’économie numérique voire collaborative, alors qu’elles offrent un service professionnel, assuré par l’emploi massif de faux indépendants qui concurrencent de façon déloyale les offres de transport traditionnelles.

Si les termes du débat peuvent être posés si simplement, alors pourquoi une telle saga judiciaire ? La réponse tient en une phrase: la Cour s’apprête à arbitrer ici ce que le législateur n’a pas eu le courage d’encadrer. La Commission européenne s’est refusé à légiférer sur l’économie des plateformes, ce qui aurait permis de distinguer celles qui relèvent des plateformes de services professionnels de celles de l’économie collaborative et ce, dans toute l’Union européenne. Dans le même temps, la France avance timidement avec la loi Grandguillaume, dans le seul but de pacifier les relations entre VTC et taxis. En gros, le train du changement passe et les politiques le regardent une fois de plus, en se gardant bien de monter dedans pour le piloter…

Deux visions du monde qui se font face

D’un côté, les défenseurs de l’ubérisation, Macron en tête, qui défendent un modèle où le travailleur est un indépendant polyvalent, capable dans une même journée de louer ses services de chauffeur, de livreur, d’hôtelier, de cuisinier, selon les moments et les pics de demande, en utilisant chaque fois une plateforme différente. Autant appeler ce modèle par son nom: la jungle, dans laquelle seuls les plus forts survivent, pendant que les autres n’ont plus que des miettes à ramasser.

De l’autre, les partisans d’une économie numérique collaborative, dont les plus grands champions européens sont français. Ceux-là estiment que le statut le plus protecteur est encore le travail salarié, avec les assurances sociales qui vont avec, mais qu’on pourrait y ajouter un revenu collaboratif, plafonné pour que personne ne puisse en faire un revenu principal et dont le principe premier repose sur le partage de frais. C’est cette vision que je défends au Parlement européen, quand je loue l’impact positif de certaines de ces plateformes de covoiturage ou d’autopartage pour faire face aux fléaux dans nos villes, à commencer par les embouteillages et la pollution de l’air.

Qui va gagner? Ni l’un ni l’autre. Les deux modèles vont continuer à coexister mais un scénario idéal existe pour que chacun sorte gagnant de cette affaire.

Amenons enfin ces plateformes de service professionnel à faire converger leurs régimes fiscal et social avec les autres entreprises de leur secteur d’économie. Ce serait une façon efficace de rétablir l’équité entre les travailleurs d’un même secteur. Et de pérenniser au passage l’activité de ces entreprises, auxquelles il faut reconnaître deux mérites fondamentaux: rapprocher efficacement les fournisseurs de services des clients, et procurer une activité ainsi qu’un revenu complémentaire à des jeunes jusqu’alors abandonnés eux aussi par l’économie et le politique.

Opportunités

Quant à l’économie collaborative, imaginons enfin la règle qui permette d’en conserver l’esprit collaboratif, de partage, d’économie et de lien social présent dans les gènes de nos start-up. Aidons-les à se développer dans un cadre réglementaire sain et durable, sans risquer d’être traînées devant les tribunaux au moindre signe de succès. Je propose pour ce faire un seuil de revenu, unique, pour toutes les plateformes confondues de l’économie collaborative, au-delà duquel les revenus seront sujets à cotisation sociale. Il pourrait être fixé à quelques milliers d’euros, pour garantir à chacun, dans une mesure raisonnable, de profiter des avantages de l’économie collaborative sans exercer de pression sur le monde professionnel par une concurrence déloyale.

La révolution numérique peut être source d’une multitude d’opportunités, au service de l’environnement et de la cohésion sociale Encore faut-il anticiper ses développements et y fixer des règles. Espérons donc que les candidates et candidats à l’Elysée auront le courage d’affronter la réalité, en proposant des solutions concrètes, simples et durables, qui profitent à la fois aux consommateurs et aux travailleurs. C’est la condition pour que le secteur des transports et de la mobilité continue d’être un laboratoire du progrès.

Par Karima Delli, Eurodéputée écologiste chargée des transports.

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