Au Maroc, le Qatar en acteur humanitaire stratégique

Des secouristes transportent une femme blessée par une réplique, dans la ville d'Imi N'tala, à l'extérieur de Marrakech, au Maroc, mercredi 13 septembre 2023. — © MOSA'AB ELSHAMY / AP
Des secouristes transportent une femme blessée par une réplique, dans la ville d'Imi N'tala, à l'extérieur de Marrakech, au Maroc, mercredi 13 septembre 2023. — © MOSA'AB ELSHAMY / AP

Pendant que la France se vexe, prenant mal le silence du Maroc face à sa proposition d’aide après le terrible tremblement de terre qu’ont vécu Marrakech et sa région, d’autres pays comme l’Espagne, les Emirats arabes unis ou le Qatar ont déjà pu accéder aux zones sinistrées pour tenter de venir en aide aux personnes en détresse. Une fois encore, un pays comme le Qatar, qui déjà mène depuis des années une stratégie offensive de médiateur de crises, assoit son rôle d’acteur humanitaire de premier plan sur plusieurs continents. Le contexte est celui d’un multilatéralisme en déroute depuis plusieurs années, de l’affaiblissement des grandes puissances, et du retour en puissance des acteurs régionaux, sans compter les microconfettis étatiques qui se rêvent en acteurs géopolitiques incontournables de l’échiquier mondial.

Doha pratique cette politique avec de vrais succès diplomatiques. Il se rêve même en zone démilitarisée de dialogue, à tout le moins neutre pour accueillir de nombreuses négociations internationales de paix, ou servir de pont diplomatique entre pays qui ne s’entendent pas ou plus.

Comme le Maroc, d’autres crises humanitaires et humaines ont bénéficié de, et à la diplomatie qatarie. Son plus grand succès à ce jour fut, après avoir accueilli à Doha les rounds de négociations entre talibans et Américains jusqu’au bout et jusqu’à l’irrémédiable reprise de Kaboul par les islamistes, de se jeter dans une opération humanitaire sans précédent en évacuant près de 100 000 personnes d’Afghanistan, à l’été 2021. La mise en place du plus important pont aérien de l’histoire entre Kaboul et le Qatar a représenté un événement tout à fait inédit pour le pays. Avec l’accord de plusieurs gouvernements, des Nations unies et de Washington, Doha a rapatrié des centaines de diplomates, des journalistes, des traducteurs, des assistants mais également des membres d’associations humanitaires qui travaillaient en Afghanistan depuis des années. Et ce, afin d’éviter de possibles représailles de la part des talibans.

Face au retrait américain et à une paralysie croissante de la communauté internationale, de petits acteurs régionaux prennent ainsi une place de plus en plus importante, profitant non seulement d’une chaîne de décision politique réduite, mais aussi d’une plus grande capacité de réactivité immédiate. Sur l’Afghanistan, c’est le gouvernement qatari qui a été à la manœuvre. Alors que dans d’autres situations de crises, pour la France, ce sont avant tout les ONG qui sont les plus rapides pour intervenir. Car dans l’urgence, il faut de la souplesse, de l’organisation et du pragmatisme. Ainsi, deux jours après le tremblement de terre au Maroc, des équipes émiraties cynotechniques véhiculées parcouraient l’Atlas à la recherche de survivants, en même temps que les équipes qataries. Pour des besoins très spécifiques, les petits pays qui en ont les moyens ont aussi des réponses très spécifiques et immédiates. C’est aussi le signe de l’adaptation de ces micro-puissances au nouvel environnement international mais également à la transformation des conflits, et à la nature même des catastrophes naturelles à répétition comme celle que vient de subir le royaume chérifien.

Le Qatar n’a pas de passif avec le Maroc. Pas d’épisode tumultueux avec Rabat depuis deux ans. Cela facilite la fluidité de la relation d’entraide, de toute évidence. Sous la direction du ministre des Affaires étrangères qatari, l’Emirat a envoyé sur place des véhicules spécialisés et des équipements, en même temps que du matériel d’urgence. Trois avions avec des équipes de recherche et de sauvetage sont partis pour Marrakech il y a trois jours. Petit à petit, Doha acquiert une expertise humanitaire, comme les Emirats notamment, et qui sera de plus en plus recherchée à l’avenir.

Les bénéfices qu’il peut tirer d’un tel engagement résideront dans son recentrage au cœur des puissants en Occident et sa capacité à ménager des alliés stratégiques, tout en s’en faisant d’autres dans le «Sud global». Sur le Maroc, cette stratégie est plutôt doublement gagnante, au vu de la lune de miel qui existe entre Rabat et Abu Dhabi, la concurrente de Doha, depuis la signature des Accords d’Abraham. En défendant le multilatéralisme et le droit humanitaire, le Qatar endosse le rôle de médiateur local stratégique sur la planète, face au déclin des intermédiaires traditionnels occidentaux – largement dépassés aujourd’hui en Afghanistan comme ailleurs – et à la complexification des crises régionales.

Sébastien Boussois, docteur en sciences politiques, chercheur sur le Moyen-Orient, ULB, UQAM.

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