Il convient d’élargir, dans un cadre rigoureux, le champ des missions de la BCE à l’atténuation climatique

La Banque centrale européenne (BCE) ne reste pas inactive face à la montée des risques climatiques, consciente qu’elle est de leurs conséquences sur la stabilité financière et sur l’inflation, les deux domaines au cœur de son mandat. Mais les mesures qu’elle met aujourd’hui en œuvre restent très limitées au regard de l’énormité de l’enjeu. Aller plus loin lui est difficile et l’oblige à ruser, à chercher tout interstice possible dans le texte même du mandat qui lui est donné formellement par les traités européens.

Il est temps qu’elle dispose d’un appui politique pour introduire davantage la dimension du climat dans son action. C’est pourquoi on doit saluer qu’un dirigeant européen en fasse mention explicite pour la première fois. Dans son discours du 25 avril à la Sorbonne, le président Macron a déclaré qu’« il s’agit d’intégrer dans les objectifs de la BCE au moins un objectif de croissance, voire un objectif de décarbonation, en tout cas de climat ».

Aujourd’hui, la BCE dispose de quelques outils : préférence pour des titres « verts » dans ses opérations de portefeuille et de prises en garantie, exigence de divulgation des risques climatiques portés par les banques, stress tests sur la base de scénarios climatiques extrêmes. Elle souhaite aller plus loin, mais à ce jour elle trébuche sur le pas le plus décisif et que beaucoup jugent le plus efficace, à savoir moduler le coût de l’activité de crédit des banques selon son caractère plus ou moins vert.

Deux modalités existent à cet égard : une charge en capital plus ou moins lourde imposée aux bilans bancaires, ou un taux de refinancement plus ou moins bas selon la nature verte ou brune du prêt. Plusieurs ONG et universitaires en ont appelé à cette seconde option dans une « Lettre ouverte au président Macron » publiée par Le Monde en décembre 2023, et qui a peut-être trouvé un écho dans le discours de la Sorbonne.

L’une et l’autre de ces mesures s’assimileraient à une sorte de bonus-malus, très proche dans ses effets d’une taxe carbone, si ce n’est qu’elles affecteraient les coûts financiers plutôt que les charges opérationnelles des entreprises et, il faut le noter, de façon plus silencieuse et probablement mieux politiquement tolérée que la taxe carbone.

Il y a dans les deux cas un avantage de souplesse dans l’incitation d’une entreprise à verdir ses investissements, préférable au schéma binaire qu’on voit aujourd’hui consistant à les « définancer » brutalement dès qu’on juge (qui ? selon quel mandat ?) leur activité trop mêlée au carbone.

Les deux mesures peuvent arguer de précédents. A la suite de la grande crise financière de 2008, le Conseil et le Parlement européens craignaient que les PME soient coupées du financement bancaire. Ils ont imposé que la BCE instaure un « facteur de soutien » pour les prêts à destination des PME. On envisageait même une réduction de 25 % de la charge en capital pour les projets d’infrastructure – or les projets verts sont souvent des projets d’infrastructure.

De même, la BCE avait introduit en 2019 des taux différenciés sur les prêts octroyés dans le cadre de son programme d’« opérations ciblées de refinancement à plus long terme ». Certains économistes opposent à cette idée que la Banque centrale ne doit pas pratiquer des taux discriminés, qui pourraient interférer avec la politique monétaire (« Central bank mandates, sustainability objectives and the promotion of green finance », Simon Dikau et Ulrich Volz, Ecological Economics, n° 184, 2021).

Si le risque climatique pèse sur le bilan des banques commerciales, c’est à leur niveau qu’il faut le mesurer et lui donner un prix, argumentent-ils. Le problème est que les modèles de mesure des risques bancaires sont toujours calés sur des risques avérés, c’est-à-dire sur un historique et non pas sur une vue prospective de ce qui peut advenir dans dix ou quinze ans. Et à cette aune, en effet, les risques décelés sont minimes, si énorme et plausible le chaos climatique puisse-t-il apparaître.

Il n’y a à vrai dire rien de très nouveau dans ces débats, si ce n’est que certains banquiers centraux, notamment à la très sage Bundesbank, s’inquiètent face au dilemme du risque inflationniste. En effet, la transition climatique suppose des investissements énormes pour verdir les produits, modifier les technologies, en mettre certaines au rebut, adopter des pratiques culturales différentes – autant d’actions qui vont se répercuter sur le prix des produits. Au point de voir apparaître un nouveau terme : l’« inflation verte ».

Or, devant une telle hausse des prix, les banquiers centraux feront ce qu’ils savent et doivent faire par mandat, à savoir casser la hausse en relevant les taux d’intérêt. Mais c’est la mesure la plus nocive qu’on puisse imaginer, puisque cette même transition exige des coûts de financement modérés pour être menée à bien !

Il faudrait alors ouvrir au plus vite un dialogue avec les instituts statistiques afin qu’ils comptent, dans le calcul de l’indice des prix, l’amélioration verte du produit comme un « effet qualité » plutôt que comme une hausse du prix, et sur cette base ne pas le reprendre dans l’indice. C’est d’ailleurs ce qui est mis en œuvre tous les jours sur le marché des actifs financiers : si l’investisseur accepte de payer plus cher une obligation verte, c’est bien parce qu’il lui reconnaît un plus qui le pousse à payer une prime verte (green premium).

La BCE saura-t-elle convaincre les instituts statistiques, dont Eurostat et l’Insee, de cet argument ? Peut-être. Mais il serait préférable que la BCE ait les coudées plus franches pour juger de l’inflation et de sa dimension climatique. La BCE doit pouvoir lutter contre l’inflation, même si une partie de celle-ci est la conséquence directe d’un mouvement, le « verdissement », qu’elle entend justement favoriser.

Dans le cadre de son présent mandat, elle n’a pas l’aisance requise pour agir comme il le faudrait. Là est l’urgence d’un appui politique venant du Conseil et du Parlement européens et, mieux encore, mais plus compliqué bien sûr, d’une modification des traités.

Il convient d’élargir, dans un cadre rigoureux, le champ des missions de la BCE à l’atténuation climatique et de lui laisser trouver les moyens les plus appropriés à cette fin. Les températures et les niveaux marins montent d’année en année. Faut-il autre chose pour nous en persuader ?

François Meunier, economiste à l’ENSAE - Institut Polytechnique de Paris.

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