Vous avez dit «théorie du complot»?

Hani Ramadan pense que l’attentat évité du train Thalys fait l’objet d’une manipulation politique et stratégique. Pris à partie dans nos colonnes et ailleurs, le directeur du Centre islamique à Genève s’explique.

Le samedi 29 août 2015, le journaliste Michel Danthe a publié sur le site du Temps un compte rendu qui visait principalement mon article intitulé Les Héros du Thalys, paru dans la Tribune de Genève du 25 août, tout en égratignant d’autres intervenants sur la question, jugeant que le doute jeté sur la version officielle des faits relève de «variantes conspirationnistes». Remarquons qu’il s’agissait surtout, en l’occurrence, de faire part de l’étonnement que beaucoup ont ressenti sur la rapidité de l’exposé médiatique des faits, avant toute enquête.

Bien qu’il reconnaisse que «cette vision des choses rencontre de nombreux échos auprès de toute une partie de l’opinion publique et de l’intelligentsia européenne», Michel Danthe se contente d’évoquer à deux reprises la piste conspirationniste. Le mot est jeté, et il semble résoudre tout, opposant la perspective d’analyses très fines aux élucubrations grossières qui sont les nôtres.

A toute explication qui remet en cause les versions gouvernementales liées à des attentats répétés, depuis le 11-Septembre notamment, la presse et les médias opposent non pas des arguments indiscutables, mais des expressions bien pratiques: théories du complot et thèses conspirationnistes. Comme pour nous dire: tout cela n’est pas sérieux. Il ne vaut même pas la peine d’entrer en matière.

Commençons simplement par affirmer que nous pensons qu’il n’y a pas de «théorie du complot», mais que complot il y a. Il suffit de remplacer le mot «complot» par celui de «stratégie» pour rendre à nos approches non conventionnelles leur caractère objectif. Tout le monde sait que nos Etats suivent des «stratégies politiques». Il ne fait aucun doute que les oligarchies transnationales agissent d’un point de vue géostratégique pour défendre les intérêts d’une minorité de gens fortunés, aux dépens de populations qui se comptent par millions, livrées à des dictateurs qui n’ont aucun respect pour la vie.

Le soutien de l’alliance américano-sioniste eurocompatible au putschiste al-Sissi, tout comme la passivité de la communauté internationale (entendre les institutions et les Etats dont l’engagement est déterminé plus par des considérations économiques que par des impératifs humanitaires, y compris le Conseil de sécurité de l’ONU et son lamentable veto) en ce qui concerne la Syrie, démontrent bien que tout ce qui se passe n’est pas l’effet du hasard, loin de là. Aujourd’hui, deux problèmes récurrents reviennent inexorablement dans les médias publics: le danger des attentats terroristes et les migrants qui prétendument menacent la stabilité de l’Europe. On note particulièrement l’affluence en catastrophe de Syriens exclus de leur pays ou déplacés par millions.

Or, comme Michel Danthe l’a très bien compris, une posture intellectuelle honnête nous commande d’analyser les causes réelles de ce qui se passe en amont, plutôt que de ne considérer que les seules conséquences, en aval. On reconnaît ainsi un excellent médecin au fait qu’il parvient à déterminer la cause réelle dont souffre son patient, et qu’il ne se contente pas de traiter les effets secondaires de la pathologie, même s’ils sont suffisamment graves. Pour cette raison, je pose à Michel Danthe les questions suivantes, ainsi d’ailleurs qu’aux journalistes qui voudraient faire l’économie d’un authentique débat en nous accusant d’être des «complotistes».

Voici l’extrait d’un article de la revue Kivounim (Orientation), publiée par l’Organisation sioniste mondiale à Jérusalem (N°14, février 1982), et énonçant les résolutions prises alors: «L’éclatement de la Syrie et de l’Irak en régions déterminées sur la base de critères ethniques ou religieux doit être, à long terme, un but prioritaire pour Israël, la première étape étant la destruction de la puissance militaire de ces Etats. […] Riche en pétrole, et en proie à des luttes intestines, l’Irak est dans la ligne de mire israélienne. Sa dissolution serait, pour nous, plus importante que celle de la Syrie, car c’est lui qui représente, à court terme, la plus sérieuse menace pour Israël.»

Il s’agit d’un document historique irréfutable, qui met à jour une stratégie, rien de plus. Et voici les questions: les visées décrites dans ce document, n’est-ce pas ce qui se produit sous nos yeux depuis plus de trente ans? Pourquoi est-il si difficile d’en parler? Pourquoi ne met-on pas en évidence l’origine de drames humains indescriptibles dont nous sommes les témoins et qui débordent jusque chez nous? Pourquoi n’explique-t-on pas que les dictatures arabes sanguinaires et Daech sont les meilleurs alliés de l’Etat d’Israël, plutôt que la voie des urnes? Pourquoi est-ce que nos agences de presse en Occident diabolisent à ce point, et rapidement, un terroriste présumé; et se taisent, à ce point, sur un projet qui se déroule depuis des décennies, et qui est en fait une énorme monstruosité: le dépeçage de la Syrie après celui de l’Irak, avec toutes les violences engendrées par ce processus immonde, qui inquiète l’Occident, mais dont on cache la source et la réalité au plus grand nombre?

Et qui veut vraiment la paix? La rhétorique de guerre accompagnant les cérémonies de remise de médailles est à nouveau à l’ordre du jour. Elle plaît à Monsieur Hollande autant qu’à certains journalistes: le bien et le mal s’affrontent. Discours qui permet de vendre de l’actualité, du papier et des armes, mais certainement pas de l’intelligence. François Hollande, qui livre aux putschistes égyptiens des Rafale et aux héros des trophées… Comment peut-on ne pas voir que les grandes chaînes publiques occidentales sont pour la plupart orientées, ignorant ou minimisant des massacres ignobles à grande échelle et se focalisant sur une actualité scénarisée à outrance?

Hani Ramadan, directeur du Centre islamique à Genève s’explique.

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